2.
Mais ne nous lassons pas, mes frères, ne nous relâchons pas, ne nous décourageons pas; et que personne ne vienne me dire ces paroles: il convenait, avant le jeûne des Juifs, de ne rien négliger pour prémunir contre cette tentation la faiblesse de nos frères, mais maintenant que ce jeûne est passé, que le péché a été commis, que l'iniquité a été consommée, quelle utilité y a-t-il encore à s'occuper de ceux qui sont tombés?
Si vous saviez mieux ce que c'est que de veiller au salut de vos frères, vous sauriez aussi que c'est maintenant surtout qu'il vous faut mettre la main à l'oeuvre, et déployer tout le zèle dont vous êtes capables. Il ne suffit pas de prémunir avant le péché, il faut encore tendre la. main après la chute. Si Dieu, dès le commencement, avait fait ce que l'on nous conseille, s'il avait seulement prémuni l'homme avant le péché, mais qu'après le péché, il l'eût rejeté et laissé pour toujours abîmé dans sa chute, c'en était fait de tout le genre humain, et et personne n'aurait été sauvé. Mais telle n'est pas la conduite de Dieu, il aime trop les hommes, il a trop de bonté et désire trop notre salut, pour ne pas s'occuper de nous-mêmes après que nous sommes tombés. Il avait en effet prémuni Adam avant le péché , et lui avait dit: Vous mangerez pour vous nourrir des fruits de tout arbre qui est dans le paradis, mais pour les fruits de l'arbre de la science chu bien et du mal, vous n'en mangerez pas, et le jour où vous en aurez mangé vous mourrez de mort. (Gen. II,16,17.) Ainsi, commandement facile à garder, larges concessions, châtiment sévère et châtiment prompt, car Dieu ne dit pas après un, ou deux, ou trois jours, mais : le jour même où vous aurez mangé vous mourrez de mort; enfin , tous les moyens qui pouvaient servir à prémunir l'homme contre la chute, Dieu les avait employés. Néanmoins quand, après tant de sollicitude, après des enseignements, des avertissements et des bienfaits si nombreux, l'homme est tombé et a violé le commandement de Dieu, Dieu ne dit pas : A quoi bon désormais s'occuper de l'homme ? L'homme a mangé le fruit défendu, il est tombé, il a transgressé la loi, il a suivi le conseil du démon, il a méprisé mon commandement, il a reçu la blessure, il est mort, il s'est livré au trépas, il s'est placé sous le coup de la loi, que reste-t-il encore à lui dire? Dieu ne tint pas un pareil langage; loin d'abandonner Adam, pécheur, il lui parla, le consola, et, pour le mieux guérir, il le soumit à la dure nécessité du travail. (Ibid. III.) Et que n'a-t-il pas fait pour régénérer la nature humaine déchue, pour l'arracher à la mort et la conduire au ciel, pour lui restituer de plus grands biens que ceux qu'elle avait perdus, et pour montrer au démon qu'il n'avait rien gagné à ses artifices, mais qu'après avoir chassé les hommes du paradis, il les verrait peu après aux cieux dans la société des anges?
Dieu a tenu la même conduite envers Caïn il l'avait prémuni, lui aussi, avant son péché, et prévenu en lui disant: Tu as péché, sois en repos; il cherchera un asile auprès de toi, et tu domineras sur lui. (Ibid. IV, 7.) Voyez la sagesse et la prudence de Dieu. Tu crains, lui dit-il, qu'il ne te dépouille de la prérogative des premiers-nés à cause de l'honneur que je lui ai accordé, et qu'il ne s'empare de la principauté qui t'appartient (il fallait que les premiers-nés fussent plus honorés que les puînés) ; rassure-toi, ne crains pas, et sois sans inquiétude à ce sujet : Il cherchera un asile auprès de toi, et tu domineras sur lui. Voici ce qu'il veut dire : Sois pour ton frère un refuge, un abri, une défense, commande-lui et sois son seigneur; seulement évite de commettre un meurtre, garde-toi d'un attentat tel que l'homicide. Caïn fut sourd à ces paroles, il ne resta pas en repos, mais il commit l'homicide, et plongea sa main dans la gorge de son frère. Quoi donc? Est-ce que Dieu dit laissons-le désormais? Quelle utilité y a-t-il encore à nous occuper de lui? Il a commis le meurtre, il a tué son frère, il a méprisé mon avertissement, il s'est souillé par un attentat. inexpiable, irrémissible, malgré la sollicitude, les enseignements et les conseils si pressants et si nombreux qui lui ont été prodigués; il a banni tout cela de sa pensée, et rien ne l'a converti. Il convient de l'abandonner, de le rejeter désormais, il n'est plus digne d'aucun égard de ma part. Dieu ne dit rien, ne fait rien de semblable; il s'adresse de nouveau à Caïn, il le reprend et lui dit : Où est Abel ton frère? Caïn nie son crime, et Dieu ne l'abandonne pas encore, il le pousse à la confession de son péché, et quand Caïn répond : Je ne sais pas, le Seigneur reprend: La voix du sang de ton frère crie vers moi (Genès. IV, 9, 10); le meurtre trahit le meurtrier. Que répond donc celui-ci? Mon péché est trop grand pour que j'en sois absous, et si vous me rejetez de la terre, je me cacherai aussi de votre face. (Ibid. V, 13, 14.) Ce qu'il veut dire, le voici : J'ai commis un trop grand péché pour que je puisse compter sur le pardon, sur la justification, sur la rémission; mais, si vous voulez tirer vengeance de ce qui est arrivé, privé de votre secours je serai à la merci de tous. Que lui répond Dieu? Il n'en sera pas ainsi: quiconque aura tué Caïn subira sept vengeances. (Ibid. V, 15.) C'est-à-dire : Ne crains rien, tu vivras une longue vie, et si quelqu'un te met à mort, il en répondra par de nombreux supplices : le mot sept, en effet, signifie dans l'Ecriture un nombre indéfini. Caïn était en proie à de nombreux supplices : l'inquiétude et la crainte le rongeaient, il sanglotait continuellement, son âme était livrée au découragement, son corps à la prostration et à l'abattement; c'est pourquoi Dieu lui dit : celui qui t'aura mis à mort, et délivré de ces châtiments, attirera sur lui-même le supplice et la vengeance. Cette parole, il est vrai, paraît sévère, accablante , mais elle est la marque d'une grande bienveillance. La punition que Dieu choisit est de nature tout ensemble à contenir dans le devoir les hommes à venir et à faire expier au coupable son crime pour en obtenir la rémission. Un arrêt de mort porté immédiatement contre Caïn, eût enseveli mn crime avec lui dans un oubli éternel; la postérité eût ignoré son péché et l'enseignement qui en découle. En le laissant vivre longtemps dans la frayeur et avec un tremblement convulsif, Dieu a fait de Caïn pour tous ceux qui le virent un exemple instructif et salutaire; son aspect et l'agitation de ses membres étaient une prédication vivante, par laquelle il exhortait tout le monde à ne pas oser commettre de semblables crimes pour ne pas subir de semblables supplices. Caïn lui-même en devint meilleur : la crainte , la frayeur , la vie inquiète, la défaillance du corps le retinrent comme dans un lien, et l'empêchèrent de se souiller par un autre forfait, et en lui rappelant continuellement le passé , modérèrent les élans impétueux de son âme portée au crime.
