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Les dieux commencèrent à manifester leur action, quand partout le mal fut à son comble, quand déjà disparaissait la foi en la Providence; car le spectacle de tant de misères donnait raison à des doutes impies. On ne pouvait espérer aucun secours des hommes, puisque les barbares avaient fait de la ville comme leur camp. Leur chef cependant, livré la nuit à toute sorte d’agitations, était en proie aux fureurs des corybantes ; et pendant le jour des terreurs paniques saisissaient les soldats. Cela se répéta si souvent que les Scythes finirent par être atteints de vertige et de démence; ils erraient çà et là, seuls ou par bandes; dans leur frénésie ils mettaient l’épée à la main, comme s’ils allaient se battre; parfois se lamentant ils demandaient qu’on leur laissât la vie; puis, s’élançant d’une course rapide, ils semblaient tour à tour fuir ou poursuivre des ennemis cachés dans l’intérieur de la ville. Et cependant il n’y avait point d’armes; personne d’ailleurs n’aurait pu se battre: les Égyptiens étaient comme une proie offerte aux barbares par Typhon. Il est une vérité évidente, c’est que le plus fort même, pour que sa force ne lui soit pas inutile, a besoin de l’aide du ciel: à cette condition seulement il peut vaincre. Ceux qui jugent sans réflexion trouvent que le plus fort doit triompher, et méconnaissent ainsi l’influence supérieure de la Divinité. Le succès a-t-il suivi nos efforts? Alors il nous semble que Dieu n’a rien fait, et nous refusons de partager avec lui l’honneur d’une victoire que nos soins ont préparée. Mais quand toute action de l’homme est absente, quand une cause mystérieuse agit seule, nous pouvons, non plus par des paroles, mais par des faits, convaincre d’erreur les adversaires de la Providence. C’est ce que l’on vit alors. Ces audacieux, ces vainqueurs, ces soldats bien armés, dont tous les amusements, toutes les occupations n’avaient pour objet que la guerre et les combats; ces cavaliers qui s’avançaient sur la place publique en ordre et bien rangés, habitués à n’aller qu’en troupe, au son de la trompette, à ce point que ai l’un d’eux avait affaire chez le cabaretier, chez le cordonnier, chez l’ouvrier chargé du nettoyage des épées, tous les autres l’accompagnaient, pour ne point se disperser même dans les rues; ces guerriers qui n’avaient en face d’eux que des adversaires faibles, désarmés, découragés, et n’osant même pas dans leurs prières demander la victoire, prirent la fuite, à un signal donné. Ils désertèrent la ville, dérobant à l’ennemi, avec tout ce qu’ils avaient de plus précieux, leurs enfants, leurs femmes, tandis qu’ils pouvaient emmener eux-mêmes en captivité celles des Égyptiens. Le peuple, en les voyant faire leurs apprêts de départ, ne comprenait rien à ce qui se passait; mais son effroi redoublait. Ceux-ci se tenaient renfermés au fond de leurs demeures, dans l’attente de l’incendie; ceux-là, aimant mieux périr par le fer que par le feu, cherchaient à se procurer des armes, non pas pour se défendre, mais pour obtenir une mort plus prompte, en les offrant aux meurtriers quand le moment serait venu; d’autres songeaient à s’embarquer, cherchant dans quelles îles, dans quelles bourgades, dans quelles cités ils pourraient trouver un refuge, loin des frontières : car ils ne s’estimaient nulle part moins en sûreté que dans la grande ville de Thèbes, cette capitale de l’Égypte. Mais enfin persuadés par les dieux, non sans peine, ils en crurent leurs yeux; reprenant courage, ils songeaient à sauver leur vie, quand ils ouïrent ce récit vraiment merveilleux.
