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De carne Christi
VII
[1] Sed quotiens de nativitate contenditur omnes qui respuunt eam ut praeiudicantem de carnis in Christo veritate ipsum dominum volunt negare esse
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De la chair de Jesus-Christ
VII.
Toutes les fois que l'on dispute sur la naissance, quiconque la rejette, comme établissant la présomption de la vérité de la chair dans le Christ, nie que Dieu lui-même ait jamais pris naissance, parce qu'il a dit: « Qui est ma mère et qui sont nies frères? » Qu'Apelles écoute donc la réponse que nous avons déjà faite à Marcion, dans le traité où nous en appelions à son Evangile lui-même, c'est-à-dire qu'il fallait examiner le sens de cette déclaration. D'abord, personne ne l'eût averti que sa mère et ses frères étaient à la porte, sans être sûr qu'il avait une mère et des frères, et que c'était ceux-là mêmes qu'il lui annonçait, soit qu'on les connût déjà, soit qu'ils se fussent donnés à connaître dans cette circonstance. Voilà pourquoi sans doute l'hérésie a effacé de l'Evangile ce passage, parce que ceux qui admiraient la doctrine du Christ disaient qu'ils connaissaient fort bien et Joseph le charpentier, qui passait pour son père, et Marie, sa mère, et ses frères et ses sœurs.
---- « Mais, poursuit-on, c'était pour le tenter qu'on lui annonçait une mère et des frères qu'il n'avait point. »
---- L'Ecriture ne le dit pas, quoiqu'elle ne manque jamais de nous avertir, chaque fois que l'on essaie de le tenter. « Voilà, est-il dit, qu'un docteur de la loi se leva pour le tenter. »
Et ailleurs: « Les pharisiens s'approchèrent de lui pour le tenter. » Qui empêchait l'Ecriture de désigner encore ici que l'on avait dessein de le tenter? Je n'admets pas ce |403 que tu introduis de ton propre fonds en dehors de l'Ecriture. Ensuite il faut qu'il y ait là matière à tentation. Pourquoi vouloir le tenter? Pour savoir s'il était né ou non? Certes, s'il l'a nié par sa réponse, les paroles de celui qui le tentait devaient la provoquer. Mais jamais la tentation, dont le but est de connaître une chose incertaine, ne procède assez subitement pour qu'elle ne soit pas précédée d'une question qui, en témoignant le doute, sollicite un éclaircissement. Or, si nulle part la naissance du Christ n'avait encore été mise en question, pourquoi conclure qu'ils ont voulu le tenter, afin de savoir ce que jamais ils n'avaient mis en question?
Nous ajoutons encore que si on avait eu le dessein de le tenter sur sa naissance, on ne l'eût pas tenté de cette manière, en lui annonçant des proches qu'il pouvait ne pas avoir, même dans la supposition que le Christ était né. Nous naissons tous. Nous n'avons pas tous cependant des frères ou une mère. Le Christ pouvait avoir encore son père plutôt que sa mère, des oncles plutôt que des frères: tant il est peu probable qu'on ail voulu le tenter sur sa naissance, qui pouvait exister sans dénomination de mère ou de frères. Il est plus vraisemblable qu'assurés de l'existence de sa mère et de ses frères, ils aient voulu le tenter sur sa divinité plutôt que sur sa naissance, pour reconnaître si, occupé dans l'intérieur de la maison, il saurait ce qui se passait au dehors, ainsi éprouvé par le mensonge de ceux qui lui annonçaient la présence de ses proches quand ils étaient présents. Toutefois, voilà qui détruit toute apparence de tentation. Ne se pouvait-il pas que ceux qu'on lui annonçait debout à la porte, il les sût retenus ailleurs, soit par maladie, soit par quelque nécessité d'affaire ou de voyage à lui connu? Personne ne tente de manière à ce que la honte de l'épreuve retombe sur lui.
Puisqu'il n'y a point ici matière à tentation, l'avertissement que c'étaient véritablement sa mère et ses frères qui étaient survenus, recouvre toute sa simplicité. |404
Mais pourquoi nier, comme il l'a fait, qu'il eût pour le moment une mère et des frères? Il faut l'apprendre aussi à Apelles. « Les frères du Seigneur n'avaient point cru en lui, » comme le témoigne l'Evangile publié avant Marcion. Il n'est pas dit non plus que sa mère fut alors auprès de lui, tandis que Marthe et les autres Marie s'attachaient ordinairement à ses pas. Ici donc se manifeste l'incrédulité de ses proches. Pendant qu'il enseignait la voie de la vie, qu'il prêchait le royaume de Dieu, qu'il travaillait à guérir les infirmités du corps et de l'âme, des étrangers avaient les yeux fixés sur lui, tandis que ceux qui lui appartenaient de si près étaient absents. Enfin, ils arrivent; mais ils restent dehors, sans entrer, sans tenir compte de ce qui se passait au dedans: il n'attendent même pas, comme s'ils lui apportaient quelque chose de plus nécessaire que ce qui l'occupait principalement alors, mais ils vont jusqu'à l'interrompre; et ils veulent le détourner d'une œuvre si importante. Dis-moi, Apelles, ou toi, Marcion, si, pendant que tu te divertis, ou que tu te passionnes pour quelque histrion ou quelque conducteur de char, on venait t'interrompre par un avertissement semblable, ne t'écrierais-tu pas: « Qui est ma mère ou qui sont mes frères? » Et le Christ, qui prêchait et démontrait Dieu, qui accomplissait la loi et les prophètes, qui dissipait les ténèbres de tant de siècles, n'aurait pas eu le droit de répondre ainsi, soit pour frapper l'incrédulité de ceux qui restaient dehors, soit pour se débarrasser de l'importunité de ceux qui troublaient son œuvre!
D'ailleurs, s'il eût voulu nier sa naissance, il eût choisi un autre lieu, un autre temps, d'autres paroles, mais non des paroles que pourrait adresser également celui qui aurait et une mère et des frères. Après tout, nier ses parents dans un moment d'indignation, c'est moins les nier que les reprendre. Enfin, il en choisit d'autres de préférence. En déclarant à quel titre il les préférait, c'est-à-dire parce qu'ils écoutaient sa parole, il prouve dans quel |405 sens il nia sa mère et ses frères. Par le même motif qu'il adoptait ceux qui s'attachaient à lui, il répudia ceux qui s'en tenaient éloignes.
Notre-Seigneur « a coutume de faire ce qu'il enseigne. » Qu'eût-on pensé de lui si, au moment où il enseignait qu'il faut faire moins de cas de sa mère ou de ses frères, que de la parole de Dieu, il eût abandonné lui-même la parole de Dieu, aussitôt qu'on lui annonçait sa mère et ses frères? Il a donc renié ses parents dans le même sens qu'il nous enseigne à les renier pour l'œuvre de Dieu. D'ailleurs, il y a là encore un symbole: la mère qui est absente figure la synagogue; et les frères incrédules, les juifs. Israël restait en dehors dans leur personne. Au contraire, les disciples nouveaux, qui écoulaient dans l'intérieur de la maison, qui croyaient, et s'attachaient au Christ, représentaient l'Eglise, mère préférée, frères plus dignes, ainsi qu'il les appela, en répudiant la parenté de la chair. Enfin, c'est encore dans le même sens qu'il répondit à cette exclamation: « Il ne niait pas le sein qui l'avait porté, ni les mamelles qui l'avaient allaite; mais il déclarait bien plus heureux ceux qui écoutent la parole de Dieu. »