CHAPITRE V. SES DOUTES SUR L’ORIGINE DU MAL.
7. Et je cherchais la source du mal, et je la cherchais mal, et je n’apercevais pas le mal de ma recherche même, et je faisais comparaître aux regards de mon esprit la création universelle, et tout ce qui est visible dans son étendue, la terre, la mer, l’air, les astres, les plantes et les animaux mortels; et tout ce qui est invisible, comme le firmament, les anges et les substances spirituelles; et mon imagination les distribuait en divers lieux comme des êtres corporels. Et je faisais de votre création une grande masse que je classais par espèces de corps, ou réels, ou que mon erreur substituait aux esprits. Et cette masse, je me la représentais immense, non pas selon son immensité réelle qu’il m’était impossible d’atteindre, mais selon les seules limites que lui assignait mon imagination. Et je me la représentais, Seigneur, de toutes parts environnée et pénétrée de votre essence; et je me figurais une mer sans fond et sans rivage, solitaire dans l’infini, qui contiendrait une éponge d’une immensité finie, et toute pleine de l’immense mer.
Ainsi je croyais vos créatures finies, pleines de votre infini, et je me disais : Voici Dieu, voilà ses créatures, Dieu bon, infiniment meilleur qu’elles, mais dont la bonté n’a pu les faire que bonnes, et c’est ainsi qu’il les environne et les remplit. Où est donc le mal, d’où vient-il, et par où s’est-il glissé? quelle est sa racine? quel est son germe? Mais peut-être, n’est-il pas. Pourquoi donc redoutons-nous, pourquoi fuyons-nous ce qui n’est pas? Et si notre crainte est vaine, cette crainte même est un mal; c’est un mal que ce néant qui sollicite et tourmente notre coeur, mal d’autant plus pénible, qu’avec moins de sujet de craindre il nous livre à la crainte. Ainsi donc, ou nous avons la crainte du mal, ou nous avons le mal de la crainte.
Et d’où vient cela? Car Dieu tout bon n’a rien fait que de bon Bien souverain, ses créatures, il est vrai, ne sont que des participations diminuées de sa bonté ;mais, toutefois, Créateur et créatures, tout est bon. D’où procède enfin le mal? Est-ce de la matière, qu’il a mise en oeuvre? Elle recélait peut-être (419) lorsqu’il lui donna la forme et l’ordre, un élément mauvais, qu’il y laissa sans. le convertir en bien. Et pourquoi? Etait-il impuissant à convertir, à changer l’essence de cette matière, pour qu’il n’y restât aucun vestige de mal, lui qui est Tout-Puissant? Pourquoi a-t-il voulu tirer quelque chose d’une pareille matière, et pourquoi, avec cette toute-puissance, ne l’a-t-il pas plutôt réduite au néant? Pouvait-elle donc exister contre sa volonté? Que si elle était éternelle, pourquoi l’a-t-il laissée ainsi tout une éternité et s’est-il décidé si tard à en faire quelque chose? Et s’il lui est venu soudaine volonté de faire, que n’a-t-il fait plutôt qu’elle cessât d’être, et que lui seul fût, coin me le Bien véritable, souverain, infini? Ou enfin, s’il n’était pas bien que la main de celui qui est tout bon demeurât stérile d’oeuvre bonne, ne devait-il pas dissiper et rendre au néant cette matière mauvaise pour en instituer une bonne, dont il eût créé toutes choses? car il ne serait pas tout-puissant s’il ne pouvait rien faire de bon qu’à l’aide de cette matière que lui-même n’aurait pas faite.
Et voilà tout ce que roulait de pensers mon pauvre coeur, gros de tous les mordants soucis dont le pénétraient la crainte de la mort et la tristesse de n’avoir point trouvé la vérité. Je portais néanmoins, enracinée dans mon âme, la foi de l’Eglise catholique en votre Christ notre Sauveur et Maître; et bien qu’elle fût encore en moi avec des défauts et des fluctuations illégitimes, elle tenait pourtant dans mon .esprit, et y prenait chaque jour davantage.
