CHAPITRE XVII. PAR QUELS DEGRÉS IL S’ÉLÈVE A LA CONNAISSANCE DE DIEU.
23. Et je m’étonnais de vous aimer, et non plus un fantôme au lieu de vous. Et je ne m’en tenais pas à jouir de mon Dieu, mais j’étais ravi vers vous par votre beauté, et bientôt un poids malheureux me détachait de vous, et je retombais sur ce sol en gémissant; et ce poids, c’étaient les habitudes de la chair.
Mais votre souvenir était toujours avec moi, et je ne doutais nullement que vous ne fussiez le seul être à qui je dusse m’attacher, quoique je fusse encore loin de pouvoir m’attacher à vous; parce que « la chair corruptible appesantit l’âme, et que cette maison de boue fait retomber l’esprit et abat l’essor de ses pensées (Sag. IX, 15). »
J’étaie encore certain « que depuis la création de l’univers, vos vertus invisibles, votre puissance éternelle et votre divinité, se révèlent à l’homme par l’intelligence de vos œuvres (Rom. I, 20). » Je cherchai donc d’où me venait cette admiration éclairée de la beauté des corps célestes ou terrestres, et quelle règle m’offrait son appui lorsque jugeant, selon la vérité, des objets muables, je disais : Cela doit être, cela ne doit pas être ainsi; et je découvris, (425) au-dessus de mon intelligence muable, l’éternité immuable de la vérité.
Et je montai par degrés, du corps à l’âme qui sent par le corps, et de là à cette faculté intérieure à qui le sens corporel annonce la présence des objets externes, limite où s’arrête l’instinct des animaux; j’atteignis enfin cette puissance raisonnable, juge de tous les rapports des sens.
Et voilà que se reconnaissant en moi sujette au changement, cette puissance s’élève à la pure intelligence, emmène sa pensée loin de l’habitude et des troublantes distractions de la fantaisie, pour découvrir quelle est la lumière qui l’inonde quand elle déclare hautement l’immuable préférable au muable. Et cet immuable, d’où le connaît-elle? Car si elle n’en avait quelque connaissance, elle ne le préférerait point au muable. Enfin, elle jette sur l’Etre même un tremblant coup d’oeil.
Alors, « vos perfections invisibles se dévoilèrent à moi par l’intelligence de vos oeuvres,» mais je n’y pus fixer mon regard émoussé. Rendu à ma faiblesse ordinaire, je n’avais plus avec moi qu’un amoureux souvenir et le regret de ne pouvoir goûter au mets dont le parfum m’avait séduit.
