CHAPITRE XX. CHERCHER DIEU, C’EST CHERCHER LA VIE HEUREUSE.
29. Est-ce ainsi que je vous cherche, Seigneur? Vous chercher, c’est chercher la vie bienheureuse. Oh! que je vous cherche, pour que mon âme vive. Elle est la vie de mon corps, et vous êtes sa vie. Est-ce donc ainsi que je cherche la vie bienheureuse? Car je ne l’ai pas trouvée, tant que je n’ai pas dit là où il faut le dire : C’est assez! Est-ce ainsi que je la cherche? Est-ce par souvenir, comme si je l’eusse oubliée, (460) avec conscience de mon oubli ? Est-ce par désir de l’inconnu? soit que je n’en aie jamais rien su, soit que j’aie tout oublié jusqu’à la mémoire de mon oubli.
Mais n’est-ce pas cette vie heureuse après laquelle tous les hommes soupirent et que nul ne dédaigne? Où l’ont-ils connue pour la désirer ainsi ? où l’ont-ils vue pour l’aimer? Il faut donc qu’elle soit avec nous; comment? je l’ignore; il faut qu’elle soit en nous; mais à différentes mesures. L’heureux en espérance la possède, moins que l’heureux en réalité, plus que celui qui est déshérité et de la réalité et de l’espérance. Mais celui-là même la possède à certain degré, puisqu’il la désire, et d’un désir incontestable.
Quelle est donc cette notion dans l’homme? je ne sais. Réside-t-elle dans sa mémoire ? c’est le problème qui m’intéresse; car alors, il faut que nous ayons été autrefois heureux. Est-ce individuellement , est-ce dans ce premier homme, premier pécheur, en qui nous sommes tous morts, premier père de nos misères?
C’est ce que je n’examine pas maintenant, je ne veux que savoir si la vie heureuse est dans la mémoire. Elle ne peut nous être entièrement inconnue, puisque nous l’aimons; puisqu’à ce nom, il n’est personne qui ne confesse le désir de la réalité. Est-ce donc le son qui nous en plaît? Qu’importe au Grec ce mot latin dont il ignore le sens; mais le synonyme grec ne le laisse pas indifférent. Car elle ne connaît ni la Grèce, ni Rome, celle qu’envient et Grecs et Latins, et tout homme en toute langue; elle est donc connue de tous les hommes. Trouvez un mot compris de tous pour leur demander s’ils veulent être heureux : oui, répondront-ils sans hésiter. Ce qui serait impossible, si ce nom n’exprimait une réalité conservée dans leur mémoire.
