CHAPITRE XL. COUP D’OEIL SUR TOUT CE QU’IL A DIT.
65. Dans ce long pèlerinage de ma pensée, où ne m’avez-vous pas accompagné, ô Vérité? avez-vous cessé de m’enseigner ce qu’il fallait rechercher ou fuir, quand je vous consultais, en vous communiquant selon mon pouvoir les découvertes de l’oeil intérieur? J’ai voyagé hors de moi-même par le sens qui m’ouvre le monde; j’ai observé la vie de mon corps et l’action de mes sens. Et je suis entré dans les profondeurs de ma mémoire, dans ces nombreuses et immenses retraites, peuplées d’une infinité d’images; et je les ai considérées avec épouvante; et j’ai vu que je ne pouvais rien distinguer sans vous, et j’ai reconnu que vous étiez fort différent de tout cela.
Fort différent aussi de moi-même, de moi, qui, dans cette exploration intérieure, cherchais à faire le discernement exact, et la juste appréciation de mes découvertes : soit que les réalités me fussent transmises par les sens, soit que, mêlées à ma nature, je les interrogeasse en moi-même; soit que je m’attachasse au nombre et au signalement de leurs introducteurs, et que, repassant tous ces trésors enfermés dans ma mémoire, ma pensée exhumât les uns et mît les autres en réserve.
Oui, vous êtes fort différent de moi, qui fais cela, et de la puissance intérieure par qui je le fais; et vous n’êtes pas cette puissance, parce que vous êtes la lumière immuable que je consulte sur l’être, la qualité, la valeur de toutes choses. Ainsi j’écoutais, et j’écoute souvent vos leçons et vos commandements. Votre voix fait mes délices, et, dans ce peu de loisirs que me laisse la nécessité de mes travaux, cette joie sainte est mon asile. (471).
Et, dans tous ces objets que je parcours à la clarté de votre lumière, je ne trouve de lieu sûr pour mon âme qu’en vous; il n’est que vous, où mon être épars puisse se rassembler pour y demeurer à jamais tout entier. Et parfois vous me pénétrez d’un sentiment étrange, douceur inconnue, qui, devenant en moi parfaite et durable, serait je ne sais quoi qui ne serait plus cette vie. Mais je retombe sous le poids de ma chaîne, et le torrent m’entraîne, et je suis lié; et je pleure, et mes larmes ne relâchent pas mes liens. Le fardeau de l’habitude m’emporte au fond. Où je puis être, je ne veux; où je veux, je ne puis; double misère.
