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Si tu as souci de l'ordre, lui dis-je, il te faut retourner à tes vers. Etudier les sciences libérales avec retenue et empressement, voilà ce qui prépare à la vérité des amis qui l'embrasseront avec plus de chaleur, plus de persévérance, plus de soin, de sorte qu'ils la convoitent avec plus d'ardeur, la poursuivent avec plus de 'constance, et s'y attachent avec plus de tendresse1. Et c'est, Licentius, ce que nous appelons la vie bienheureuse. A ce nom, chacun se dresse et s'attache en quelque sorte à tes mains, pour voir si tu n'aurais pas de quoi donner à des indigents, à des hommes retenus par les liens de tant de maladies. Mais que la sagesse leur commande de supporter le traitement du médecin, et de se laisser guérir avec quelque patience, aussitôt ils retombent sur leurs couches. Allanguis par la chaleur de ces couches, ils goûtent plus de plaisir à réveiller les démangeaisons de leurs chagrines voluptés, qu'à subir et à suivre les avis un peu sévères et désagréables du médecin, pour être rendus à la santé, et à la lumière, et contents d'avoir pour appuis le nom et l'idée du Dieu souverain, ils vivent dans la misère, et néanmoins ils vivent.
Il est d'autres hommes, disons mieux, d'autres âmes encore unies à des corps et déjà dignes d'être recherchées par le meilleur et le plus beau des époux. Pour elles ce n'est pas assez de vivre si elles ne vivent heureuses. En attendant, retourne à tes muses; mais sais-tu ce que je désire que tu fasses? Ordonne ce qu'il te plaira, répondit-il. Quand Pyrame se sera poignardé, lui dis-je, ainsi que son amante, sur son corps à demi-mort, comme tu dois le chanter, tu auras la plus favorable des occasions, dans cette douleur même, qui doit porter dans ton poème l'émotion la plus vive. Pénètre-toi d'horreur pour l'amour dégradant et les femmes empoisonnées qui conduisent à ces déplorables excès, puis élève-toi; pour chanter cet amour pur et sans tache qui, au moyen de la philosophie, unit à l'intelligence les âmes cultivées par l'étude et embellies par la vertu, et qui non-seulement fuient la mort, mais jouissent encore de la vie bienheureuse. Il réfléchit longtemps dans le silence et l'hésitation, puis ayant fait un mouvement de la tête, il s'en alla.
Rétr. liv. II, ch. 3, n. 2. ↩
