CHAPITRE XII.
COMMENT IL FAUT ENTENDRE CES PAROLES DU PSAUME QUATRE-VINGT-HUITIÈME : « OU SONT, SEIGNEUR, LES ANCIENNES MISÉRICORDES ETC. »
Examinons maintenant la fin de ce psaume, qui est ainsi conçu : « Seigneur, où sont les anciennes miséricordes que vous avez fait serment d’exercer envers David? Souvenez-vous, Seigneur, de l’opprobre de vos serviteurs, et qu’il m’a fallu essuyer sans rien dire les reproches de tant de nations, ces reproches injurieux que vos ennemis m’ont faits du changement de votre Christ ». En méditant ces paroles, il est permis de demander si elles s’appliquent aux Israélites, qui désiraient que Dieu accomplît la promesse qu’il avait faite à David, ou bien à la personne des chrétiens qui sont Israélites selon l’esprit et non selon la chair. Il est certain, en effet, qu’elles ont été dites ou écrites du vivant d’Aethan, dont le nom est à la tête de ce psaume et sous le règne de David; et par conséquent il n’y a point d’apparence que l’on pût dire alors: « Seigneur, où sont les anciennes « miséricordes que vous avez fait serment d’exercer envers David? » à moins que le Prophète ne se mît à la place de ceux qui devaient venir longtemps après et à l’égard de qui ces promesses faites à David étaient anciennes. On peut donc entendre que lorsque les Gentils persécutaient les chrétiens, ils leur reprochaient la passion de Jésus-Christ, que l’Ecriture appelle un changement, parce qu’en mourant il est devenu immortel. On peut aussi entendre que le changement du Christ a été reproché aux Juifs, en ce qu’au lieu qu’ils l’attendaient comme leur sauveur, il est devenu le sauveur des Gentils. C’est ce que plusieurs peuples, qui ont cru en lui par le Nouveau Testament, leur reprochent encore aujourd’hui; de sorte que c’est en leur personne qu’il est dit: « Souvenez-vous, Seigneur, de l’opprobre de vos serviteurs », parce que Dieu, ne les oubliant pas, mais ayant compassion de leur misère, doit les attirer un jour eux-mêmes à la grâce de l’Evangile. Mais il me semble que le premier sens est meilleur. En effet, il ne paraît pas à propos d’appeler serviteurs de Dieu les ennemis de Jésus-Christ à qui l’on reproche que le Christ les a abandonnés pour passer aux Gentils, et que cette qualité convient mieux à ceux qui, exposés à de rudes persécutions pour le nom de Jésus-Christ, se sont souvenus du royaume promis à la race de David, et touchés d’un ardent désir de le posséder, ont dit à Dieu: « Seigneur, où sont les anciennes miséricordes que vous avez fait serment d’exercer envers David? Souvenez-vous, Seigneur, de l’opprobre de vos serviteurs, et qu’il m’a fallu essuyer sans rien dire les reproches de tant de nations, ces reproches injurieux que vos ennemis m’ont faits du changement de votre Christ », ce changement étant pris par eux pour un anéantissement. Que veut dire: Souvenez-vous, Seigneur, sinon ayez pitié de moi, et, pour les humiliations que j’ai souffertes avec tant de patience, donnez-moi la gloire que vous avez promise à David avec serment. Que si nous attribuons ces paroles aux Juifs, assurément ces serviteurs de Dieu, qui furent emmenés captifs à Babylone après la prise de la Jérusalem terrestre et avant la naissance de Jésus-Christ, ont pu les dire aussi, entendant par le changement du Christ, qu’ils ne devaient pas attendre de lui une félicité temporelle semblable à celle dont ils avaient joui quelques années auparavant sous le règne de Salomon, mais une félicité céleste et spirituelle ; et c’est le changement que les nations idolâtres reprochaient, sans s’en douter, au peuple de Dieu, lorsqu’elles l’insultaient dans sa captivité. C’est aussi ce qui se trouve ensuite dans le même psaume et qui en fait la conclusion: « Que la bénédiction du Seigneur (377) demeure éternellement ; ainsi soit-il, ainsi soit-il » ; voeu très-convenable à tout le peuple de Dieu qui appartient à la Jérusalem céleste, soit à l’égard de ceux qui étaient cachés dans l’Ancien Testament avant que le Nouveau ne fût découvert, soit pour ceux qui dans le Nouveau sont manifestement à Jésus-Christ. La bénédiction du Seigneur promise à la race de David n’est pas circonscrite dans un aussi petit espace de temps que le règne de Salomon, mais elle ne doit avoir d’autres bornes que l’éternité. La certitude de l’espérance que nous en avons est marquée par la répétition de ces mots: « Ainsi soit-il, ainsi soit-il ». C’est ce que David comprenait bien quand il dit, au second livre des Rois, qui nous a conduits à cette digression du Psaume: « Vous avez parlé pour longtemps en faveur de la maison de David1 »; et un peu après : « Commencez donc maintenant, et bénissez pour jamais la maison de votre serviteur, etc.2 » parce qu’il était prêt d’engendrer un fils dont la race était destinée à donner naissance à Jésus-Christ, qui devait rendre éternelle sa maison et en même temps la maison de Dieu. Elle est la maison de David à raison de sa race, et la maison de Dieu à cause de son temple, mais d’un temple qui est fait d’hommes et non de pierres, et où le peuple doit demeurer éternellement avec son Dieu et en son Dieu, et Dieu avec son peuple et en son peuple, en sorte que Dieu remplisse son peuple et que le peuple soit plein de son Dieu, lorsque Dieu sera tout en tous3, Dieu, notre récompense dans la paix et notre force dans le combat. Comme Nathan avait dit à David: « Le Seigneur vous avertit que vous lui bâtirez une maison4 »; David dit ensuite à Dieu: « Seigneur tout-puissant, Dieu d’Israël, vous avez révélé à votre serviteur que vous lui bâtiriez une maison5». En effet, nous bâtissons cette maison en vivant bien, et Dieu la bâtit aussi en nous aidant à bien vivre; car, « si le Seigneur ne bâtit lui-même une maison, en vain travaillent ceux qui la bâtissent6. » Lorsque le temps de la dernière dédicace de cette maison sera venu, alors s’accomplira ce que Dieu dit ici par Nathan: « J’assignerai un lieu à mon peuple, et l’y établirai, afin qu’il « y demeure séparé des autres nations et que rien ne trouble son repos à l’avenir. Les méchants ne l’opprimeront plus comme autrefois, lorsque je lui donnai des Juges pour le conduire7 ».
