CHAPITRE XX.
DU RÈGNE ET DES VERTUS DE DAVID, ET DES PROPHÉTIES SUR JÉSUS-CHRIST QUI SE TROUVENT DANS LES LIVRES DE SALOMON.
David régna donc dans la Jérusalem terrestre, lui qui était enfant de la céleste, et à qui l’Ecriture rend un témoignage de gloire, parce qu’il effaça tellement ses crimes par les humiliations d’une sainte patience qu’il est sans doute du nombre de ces pécheurs dont il dit lui même: « Heureux ceux dont les iniquités sont pardonnées et les péchés couverts1 !» A David succéda son fils Salomon, qui, comme nous l’avons dit ci-dessus, fut couronné du vivant de son père. La fin de son règne ne répondit pas aux espérances que les commencements avaient fait concevoir; car la prospérité, qui corrompt d’ordinaire les plus sages, l’emporta sur cette haute sagesse dont le bruit s’est répandu dans tous les siècles. On reconnaît que ce prince a aussi prophétisé dans ses trois livres, que l’Eglise reçoit au nombre des canoniques et qui sont les Proverbes, l’Ecclésiaste et le Cantique des cantiques. Pour les deux autres, intitulés la Sagesse et l’Ecclésiastique, on a coutume de les lui attribuer, à cause de quelque ressemblance de style; mais les doctes tombent d’accord qu’ils ne sont pas de lui. Toutefois il y a longtemps qu’ils ont autorité dans l’Eglise, surtout dans celle d’Occident. La passion du Sauveur est clairement prédite dans celui qu’on appelle la Sagesse. Les infâmes meurtriers de Jésus-Christ y parlent de la sorte : « Opprimons le juste, il nous est incommode et il s’oppose sans cesse à nos desseins; il nous reproche nos péchés et publie partout nos crimes; il se vante de connaître Dieu et il se nomine insolemment son fils; il contrôle jusqu’à nos pensées, et sa vue même nous est à charge; car il mène une vie toute différente de celle des autres, et sa conduite est tout extraordinaire. Il nous regarde comme des bagatelles et fuit notre manière d’agir comme la peste; il estime heureuse la mort des gens de bien et se glorifie d’avoir Dieu pour père. Voyons donc si ce qu’il dit est vrai, et éprouvons quelle sera sa fin. S’il est vraiment fils de Dieu, Dieu le protégera et le tirera des mains de ses ennemis. Faisons-lui souffrir toutes sortes d’affronts et de tourments pour voir jusqu’où vont sa modération et sa patience. Condamnons-le à une mort ignominieuse, car nous jugerons de ses paroles par ses actions. Voilà quelles ont été leurs pensées; mais ils se sont trompés, parce que leur malice les a aveuglés ». Quant à l’Ecclésiastique, la foi des Gentils y est prédite ainsi : « Seigneur, qui êtes le maître de tous les hommes, ayez pitié de nous, et que tous les peuples vous craignent. Etendez votre main sur les nations étrangères, afin qu’elles reconnaissent votre personne et que vous soyez glorieux en elles comme vous l’êtes en nous, et qu’elles apprennent avec nous qu’il n’y a point d’autre Dieu que vous, Seigneur ». Cette prophétie conçue en forme de souhait, nous ta voyons accomplie par Jésus-Christ; mais comme ces Ecritures ne sont pas canoniques parmi les Juifs , elles ont moins de force contre les opiniâtres.
Pour les autres trois livres, qui, certainement, sont de Salomon, et que les Juifs reconnaissent pour canoniques, il serait trop long et très-pénible de montrer comment tout ce qui s’y trouve se rapporte à Jésus-Christ et à son Eglise. Toutefois ce discours des impies dans les Proverbes: « Mettons le juste au tombeau et dévorons-le tout vivant; abolissons-en la mémoire sur la face de la terre, emparons-nous de ce qu’il possède de plus précieux2 »; ce discours , dis-je, n’est pas si obscur qu’on ne le puisse aisément entendre de Jésus-Christ et de l’Eglise, qui est son plus précieux héritage. Notre-Seigneur lui-même, dans la parabole des mauvais vignerons, leur fait tenir un discours semblable, quand, apercevant le fils du père de famille : « Voici, disent-ils, l’héritier ; allons, tuons-le, et nous serons maîtres de son héritage3 »Tous ceux qui savent que Jésus-Christ est la Sagesse de Dieu n’entendent aussi que de lui et de son Eglise cet autre endroit des Proverbes que nous avons touché plus haut, lorsque nous parlions de la femme stérile qui a engendré sept enfants : « La Sagesse, dit Salomon, s’est bâti une maison, et l’a appuyée sur sep colonnes. Elle a immolé ses victimes, mêlé son vin dans une coupe et dressé sa table; elle a envoyé ses serviteurs pour convier hautement à boire du vin de sa coupe, disant: « Que celui qui n’est pas sage vienne à moi; et à ceux qui manquent de sens, elle a parlé ainsi : Venez, mangez de mes pains, et buvez le vin que je vous ai préparé4 ». Ces paroles nous font connaître clairement que la sagesse de Dieu, c’est-à-dire le Verbe coéternel au Père, s’est bâti une maison dans le sein d’une vierge en y prenant un corps, qu’il s’est uni l’Eglise comme les membres à la tête, qu’il a immolé les martyrs comme des victimes, qu’il a couvert une table de pain et de vin, où se voit même le sacerdoce selon l’ordre de Melchisédech, enfin, qu’il y a invité les fous et les insensés, parce que, comme dit l’Apôtre: « Dieu a choisi les faibles selon le monde pour confondre les puissants5 ». Néanmoins, c’est à ces faibles que la Sagesse a dit ensuite: « Quittez votre folie afin de vivre, et cherchez la sagesse, afin d’acquérir la vie6 ». Or, avoir place à sa table, c’est commencer d’avoir la vie. Que peuvent signifier de mieux ces autres paroles de l’Ecclésiaste : « L’homme n’a d’autre bien que ce qu’il boit et mange7 ? » qu’est-ce, dis-je, que ces paroles peuvent signifier, sinon la participation à cette table, où le souverain prêtre et médiateur du Nouveau Testament nous donne son corps et son sang selon l’ordre de Melchisédech, et ce sacrifice a succédé à tous les autres de l’Ancien Testament, qui n’étaient que des ombres et des figures de celui-ci ? Aussi reconnaissons-nous la voix de ce même médiateur dans la prophétie du psaume trente-neuf: « Vous n’avez point voulu de victime ni d’offrande, mais vous m’avez disposé un corps8», parce que, pour tout sacrifice et oblation, son corps est offert et servi à ceux qui y participent. Que l’Ecclésiaste n’entende pas parler de viandes charnelles dans son invitation perpétuelle à boire et à manger, cette parole le prouve clairement : « Il vaut mieux aller dans une maison de deuil que dans celle où l’on fait bonne chère9 »; et un peu après: « Les sages ai« ment à aller dans une maison de deuil, et et les fous dans une maison de festins et de débauches10 ». Mais il vaut mieux rapporter ici de ce livre ce qui regarde les deux cités, celle du diable et celle de Jésus-Christ, et les rois de l’une et de l’autre : « Malheur à vous, terre, dont le roi est jeune et dont les princes mangent dès le matin ! Mais bénie soyez-vous, terre, dont le roi est fils des libres, et dont les princes mangent dans le temps convenable, sans impatience et sans confusion11 ». Ce jeune roi est le diable, que Salomon appelle ainsi à cause de sa folie, de son orgueil, de sa témérité, de son insolence, et des autres vices auxquels les jeunes gens sont sujets. Jésus-Christ, au contraire, est fils des libres, c’est-à-dire des saints patriarches appartenant à la cité libre dont il est issu selon la chair. Les princes de cette cité qui mangent dès le matin, c’est-à-dire avant le temps, désignent ceux qui se hâtent de goûter la fausse félicité de ce monde, sans vouloir attendre celle de l’autre, qui est la seule véritable, au lieu que les princes de la cité de Jésus-Christ attendent avec patience le temps d’une félicité qui ne trompe point. C’est ce qu’il veut dire par ces paroles, « sans impatience et sans confusion », parce qu’ils ne se repaissent point d’une vaine espérance, suivant cette parole de l’Apôtre : « L’espérance ne confond point12 », et cette autre du psaume: « Tous ceux qui vous attendent avec patience ne seront point confondus13 ». Quant au Cantique des cantiques, c’est une réjouissance spirituelle des saintes âmes aux noces du roi et de la reine de la Cité céleste, c’est-à-dire de Jésus-Christ et de l’Eglise mais cette joie est cachée sous le voile de l’allégorie, afin qu’on ait plus d’envie de la connaître et plus de plaisir à la découvrir, et d’y voir cet époux à qui on dit au même cantique: « Ceux qui sont justes nous aiment14 », et cette épouse à qui l’on dit aussi : « La charité fait vos délices15 ». Nous passons sous silence plusieurs autres choses pour ne pas excéder les bornes de ces, ouvrage.
