CHAPITRE XIV.
DE LA DAMNATION DU DIABLE ET DES SIENS, ET RÉCAPITULATION DE CE QUI A ÉTÉ DIT SUR LA RÉSURRECTION DES CORPS ET LE JUGEMENT DERNIER.
Après avoir parlé de la dernière persécution, saint Jean résume en peu de mots ce que le diable doit souffrir au dernier jugement avec la cité dont il est le prince : « Et le diable, dit-il, qui les séduisait, fut jeté dans un « étang de feu et de soufre, où la bête et le faux prophète seront tourmentés jour et nuit, « dans les siècles des siècles1» Nous avons dit plus haut que par la bête, on peut fort bien entendre la cité impie; et quant à son faux prophète, c’est ou l’Antéchrist, ou cette image, ce fantôme dont nous avons parlé dans Je même endroit. L’Apôtre revient ensuite au dernier jugement qui se fera à la seconde résurrection des morts, c’est-à-dire à celle des corps, et déclare comment il lui a été révélé : « Je vis, dit-il, un grand trône blanc, et celui qui était assis dessus, devant qui le ciel et la terre s’enfuirent et disparurent2 ». Il ne dit pas : Je vis un grand trône blanc, et celui qui était assis dessus, et le ciel et la terre s’enfuirent devant lui, parce que cela n’arriva pas alors, c’est-à-dire avant qu’il eût jugé les vivants et les morts ; mais il dit qu’il vit assis sur le trône celui devant qui le ciel et la terre s’enfuirent dans la suite. Lorsque le jugement sera achevé, ce ciel et cette terre cesseront en effet d’exister, et il y aura un ciel nouveau et une terre nouvelle. Ce monde passera, non par destruction, mais par changement; ce qui a fait dire à l’Apôtre: « La figure de ce monde passe; c’est pourquoi je désire que vous viviez sans soin et sans souci de ce monde3 »; c’est donc la figure du monde qui passe, et non sa nature. Saint Jean, après avoir dit qu’il vit celui qui était assis sur le trône, devant qui s’enfuient le ciel et la terre, ce qui n’arrivera qu’après, ajoute : « Je vis aussi les morts, grands et petits ; et des livres furent ouverts; et un autre livre fut ouvert, qui est le livre de la vie de chacun4, et les morts furent jugés sur ce qui était écrit dans ces livres, chacun selon ses œuvres ». Il dit que des livres furent ouverts, ainsi qu’un autre, « qui est le livre de la vie de chacun ». Or, ces premiers livres sont l’Ancien et le Nouveau Testament, pour montrer les choses que Dieu a ordonné qu’on fit; et cet autre livre particulier de la vie de chacun est là pour faire voir ce que chacun aura ou n’aura pas fait. A prendre ce livre matériellement combien faudrait-il qu’il fût grand et gros? ou combien faudrait-il de temps pour lire un livre contenant la vie de chaque homme? Est-ce qu’il y aura autant d’anges que d’hommes, et chacun entendra-t-il le récit de sa vie de la bouche de l’ange qui lui sera assigné? A ce compte, il n’y aurait donc pas un livre pour tous, mais pour un chacun. Cependant l’Ecriture n’en marque qu’un pour tous, quand elle dit: « Et un autre livre fut « ouvert »… Il faut dès lors entendre par ce livre une vertu divine, par laquelle chacun se ressouviendra de toutes ses oeuvres, tant bonnes que mauvaises, et elles lui seront toutes présentées en un instant, afin que sa conscience le condamne ou le justifie, et qu’ainsi tous les hommes soient payés en un moment, Si cette vertu divine est nommée un livre, c’est qu’on y lit, en quelque sorte, tout ce qu’on se souvient d’avoir fait. Pour montrer que les morts doivent être jugés, c’est-à-dire les grands et les petits, il ajoute, par forme de récapitulation et en reprenant ce qu’il avait omis, ou plutôt ce qu’il avait différé : « Et la mer présenta ses morts, et la mort et l’enfer rendirent les leurs5 » ; ce qui arriva sans doute avant que les morts fussent jugés, et cependant il ne le rapporte qu’après. Ainsi j’ai raison de dire qu’il reprend ce qu’il avait omis. Mais maintenant il garde l’ordre, et croit devoir répéter ce qu’il avait déjà dit du jugement. Après ces paroles : « Et la mer rendit ses morts, et la mort et l’enfer rendirent les leurs », il ajoute aussitôt: « Et chacun fut jugé selon ses oeuvres » ; et c’est ce qu’il avait dit avant: «Les morts furent jugés selon leurs oeuvres ».
