CHAPITRE XV.
DES MORTS QUE VOMIT LAMER POUR LE JUGEMENT, ET DE CEUX QUE LA MORT ET L’ENFER RENDIRENT.
Mais quels sont ces morts que- la nier contenait et qu’elle vomit ? Ceux qui meurent dans la mer échapperaient-ils à l’enfer? ou bien est-ce que la mer conserve leurs corps? ou bien, ce qui est encore plus absurde, la mer aurait-elle les bons et l’enfer les méchants? qui le croira? Il me semble donc que c’est avec quelque raison qu’on a entendu ici le siècle par la mer. Ainsi saint Jean, voulant dire que ceux que Jésus-Christ trouvera encore vivants seront jugés avec ceux qui doivent ressusciter, les appelle aussi morts, tant les bons que les méchants : les bons, à qui il est dit « Vous êtes morts, et votre vie est cachée en Dieu avec Jésus-Christ1» ; et les méchants, dont il est dit: « Laissez les morts ensevelir leurs morts2 ». On peut aussi les appeler morts en ce qu’ils ont des corps mortels; ce qui a donné lieu à cette parole de l’Apôtre « Il est vrai que le corps est mort, à cause du «péché; mais l’esprit est vivant, à cause de la justice3 »; montrant par là que l’un et l’antre est dans un homme vivant: un corps vivant et un esprit qui vit. Il ne dit pas toutefois le corps mortel, mais le corps mort, bien qu’il le dise ensuite4, comme on a coutume de l’appeler communément. Ce sont ces morts que la mer vomit; entendez que ce siècle présentera les hommes qu’il contenait, parce qu’ils n’étaient pas encore morts. « Et la mort et l’enfer, dit-il, rendirent aussi leurs morts ». La mer les présenta, selon la traduction littérale, parce qu’ils comparurent dans l’état où ils furent trouvés ; au lieu que la mort et l’enfer les rendirent, parce qu’ils les rappelèrent à la vie qu’ils avaient déjà quittée. Peut-être n’est. ce pas seulement la mort, mais encore l’enfer: la mort, pour marquer les justes qui l’ont seulement soufferte, sans aller en enfer; et l’enfer à cause des méchants qui y souffrent des supplices. S’il est au fond assez vraisemblable que les saints de l’Ancien Testament, qui ont cru à l’incarnation de Jésus-Christ, ont été, après la mort, dans des lieux, à la vérité, fort éloignés de ceux où les méchants sont tourmentés, mais néanmoins dans les enfers , jusqu’à ce qu’ils en fussent tirés par le sang du Sauveur et par la descente qu’il y fit certainement, les véritables chrétiens, après l’effusion de ce sang divin, ne vont point dans les enfers, en attendant qu’ils reprennent leur corps et qu’ils reçoivent les récompenses qu’ils méritent. Or, après avoir dit : « Et ils furent-jugés chacun selon leurs oeuvres», il ajoute en un mot quel fut ce jugement: «Et la mort, dit-il, et l’enfer furent jetés dans un étang de feu »; désignant par là le diable et tous les démons, attendu que le diable est auteur de la mort et des peines de l’enfer. C’est même ce qu’il a dit avant plus clairement par anticipation : « Et le diable qui les séduisait fut jeté dans un étang de feu et de soufre». Ce qu’il avait exprimé là plus obscurément: « Où la bête et le faux prophète, etc. », il l’éclaircit ici en ces termes : « Et ceux qui ne se trouvèrent pas écrits dans le livre de vie furent « jetés dans l’étang de feu5 ». Ce livre n’est pas pour avertir Dieu, comme s’il pouvait se tromper par oubli; mais il signifie la prédestination de ceux à qui la vie éternelle sera donnée. Dieu ne les lit pas dans ce livre, comme s’il ne les connaissait pas ; mais plutôt sa prescience infaillible est ce livre de vie dans lequel ils sont écrits, c’est-à-dire connus de toute éternité.
