CHAPITRE XXII.
COMMENT IL FAUT ENTENDRE QUE LES BONS SORTIRONT POUR VOIR LE SUPPLICE DES MÉCHANTS.
Mais comment les bons sortiront-ils pour voir le supplice des méchants? Dirons-nous qu’ils quitteront réellement les bienheureuses demeures, pour passer aux lieux des supplices et être témoins des tourments des damnés? A Dieu ne plaise! c’est en esprit, c’est par la connaissance qu’ils sortiront. Ce mot sortir fait entendre que ceux qui seront tourmentés seront dehors : car Notre-Seigneur appelle aussi ténèbres extérieures ces lieux opposés à l’entrée qu’il annonce au bon serviteur, quand il lui dit: « Entre dans la joie de ton Seigneur1 »; et loin que les méchants y entrent pour y être connus, ce sont plutôt les saints qui sortent en quelque façon vers eux par la connaissance qu’ils ont de leur malheur. Ceux qui seront dans les tourments ne sauront pas ce qui se passera au dedans, « dans la joie du Seigneur » ; mais ceux qui posséderont cette joie sauront tout ce qui se passera au dehors, dans « les ténèbres extérieures ». C’est pour cela qu’il est dit qu’ils sortiront, parce qu’ils connaîtront ce qui se fera à l’égard de ceux mêmes qui seront dehors. Si, en effet, les Prophètes ont pu connaître ces choses, quand elles n’étaient pas encore arrivées, par le peu que Dieu en révélait à des hommes mortels, comment les saints immortels les ignoreraient-ils, alors qu’elles seront accomplies et que Dieu sera tout en tous2? La semence et le nom des saints demeureront donc stables dans la plénitude de Dieu, j’entends cette semence dont saint Jean dit: « Et la semence de Dieu demeure en lui3 » ; et ce nom dont parle Isaïe: « Je leur donnerai un nom éternel, et ils passeront de mois en mois et de sabbat en sabbat », comme de lune en lune, et de repos en repos. Car les saints seront tout cela, alors que, de ces ombres anciennes et passagères, ils entreront dans les clartés nouvelles et éternelles. Quant à ce feu inextinguible et à ce ver immortel qui feront le supplice des réprouvés, on les explique diversement. Les uns rapportent l’un et l’autre au corps, et les autres à l’âme. D’autres disent que le feu tourmentera le corps, et le ver l’âme, et qu’ainsi il faut prendre le premier au propre et le second au figuré, ce qui ne paraît pas vraisemblable. Mais ce n’est pas ici le lieu de parler de cette différence, puisque nous avons destiné ce livre au dernier jugement qui fera la séparation des bons et des méchants. Nous parlerons en particulier de leurs peines et de leurs récompenses4.
