17.
Si l'on me demande pourquoi Dieu n'a pas donné la persévérance à ceux qui ont reçu de lui la charité pour vivre chrétiennement, j'avoue humblement sur ce point mon entière ignorance. Pénétré de mon néant, je recueille avec humilité ces paroles de l'Apôtre : « O homme ! qui êtes-vous donc pour oser répondre à Dieu1 ? » Et encore : « O profondeur des trésors de la sagesse et de la science de Dieu ! que ses jugements sont incompréhensibles et ses voies impénétrables2 ! ». Quand donc il plaît au Seigneur de nous révéler ses jugements, rendons-lui d'humbles actions de grâces; et quand il les cache à nos ,yeux, loin de murmurer, soyons persuadés que cette conduite de sa part est pour nous des plus salutaires.
Pour vous qui, dans ces questions téméraires, vous posez en ennemi de la grâce, que dites-vous vous-même? Heureusement; toutefois, vous affirmez que vous êtes chrétien, et vous vous flattez d'être catholique. Si donc vous confessez que la persévérance dans le bien jusqu'à la mort est un don de Dieu, quand il s'agit de savoir pourquoi celui-ci reçoit ce don, tandis que cet autre ne le reçoit pas, n'ai-je pas lieu de croire que vous et moi nous sommes sur ce point dans une égale ignorance, et qu'il nous est impossible de sonder les jugements impénétrables de Dieu?
Ou bien, si la persévérance ou la non-persévérance vous paraît dépendre exclusivement de ce libre arbitre de l'homme dont vous vous faites le panégyriste, non pas avec le concours, mais au détriment de la grâce de Dieu; si, dis-je, cette persévérance devient à vos yeux, non pas un don de Dieu, ruais un simple effet de la volonté humaine, qu'opposerez-vous donc à ces paroles du Sauveur : « Pierre, j'ai prié pour toi afin que ta foi ne défaille point3 ? » Direz-vous que, malgré la prière de Jésus-Christ, la foi de Pierre aurait défailli si cet Apôtre l'avait voulu, c'est-à-dire s'il avait refusé d'y persévérer jusqu'à sa mort? c'est-à-dire, si sa volonté était devenue tout autre que le Sauveur demandait qu'elle fût? Qui ne sait que la foi de Pierre aurait péri, et que lui-même aurait cessé d'être fidèle, si sa volonté avait défailli, et que sa foi devait rester intacte si sa volonté continuait à rester ce qu'elle était? Mais nous savons aussi que la volonté est préparée par le Seigneur; voilà pourquoi la prière de Jésus-Christ en faveur de Pierre ne pouvait rester stérile. Quand donc il demande que sa foi ne défaille point, que demande-t-il autre chose, si ce n'est, pour Pierre, l'insigne faveur d'avoir dans la foi une volonté très-libre, très-forte, invincible et d'une persévérance à toute épreuve? Voilà comment nous défendons, selon la grâce et non pas contre elle, la liberté de la volonté. En effet, la volonté humaine n'obtient pas la grâce par la liberté , mais la liberté par la grâce; c'est à la grâce qu'elle doit cette précieuse persévérance et cette force invincible.
