XXVI.
--- Mais il est temps de terminer ce livre, non qu'il n'y ait plus rien à dire de Martin, mais parce que, semblable à ces poètes peu féconds, qui se relâchent à la fin d'un long poème, nous succombons sous le poids de notre intarissable sujet. Car, s'il a été possible, jusqu'à un certain point, de raconter les actions de notre bienheureux, jamais, je le déclare en toute vérité, jamais on ne pourra décrire sa vie intérieure, sa manière d'employer chaque journée, son cur incessamment appliqué à Dieu, la continuité de ses abstinences et de ses jeûnes, et le sage tempérament qu'il savait y apporter, la puissante efficacité de ses prières et de ses oraisons, les nuits qu'il employait comme les journées ; tout son temps, en un mot, dont pas un instant n'était donné au repos ni aux affaires de ce monde, était entièrement consacré, à l'uvre de Dieu, même pendant son repos et son sommeil, auxquels il n'accordait que ce que la nature exigeait absolument. Non, il faut l'avouer, si Homère lui-même revenait de l'autre monde, le génie de ce grand poète serait incapable de raconter toutes ces merveilles : tout est si grand dans Martin, que la parole est impuissante à l'exprimer. Jamais il ne laissait passer une heure, un seul moment sans vaquer à la prière ou à la lecture, et même, pendant qu'il lisait ou qu'il se livrait à toute autre occupation, son cur priait toujours. Comme les forgerons qui frappent sur l'enclume pour se soulager pendant leur travail, Martin priait sans cesse, quoiqu'il parât occupé d'autre chose. Heureux Martin ! il ne se trouvait en lui aucune malice ; il ne jugeait ni ne condamnait personne, et ne rendait jamais le mal pour le mal. Il supportait les injures avec tant de patience, que, bien qu'il fût évêque, les moindres clercs l'outrageaient impunément, et sans qu'il les privât pour cela de leur emploi, ou les chassât de son cur.
