A SAINT AUGUSTIN.
Jérôme avant reçu la lettre où saint Augustin lui parle des mensonges officieux, mais incertain s'il en était l'auteur, lui marque qu'il ne lui répondra que quand il sera sûr que la lettre est véritablement de lui. Il parle de Ruffin sous un nom emprunté.
Ecrite en 403.
Comme notre saint fils le sous-diacre Astérius, mon intime ami, était sur son départ, j'ai reçu la lettre que votre sainteté m'a écrite pour me témoigner qu'elle n'a envoyé aucun écrit à Rome contre moi. On ne m'avait pas dit que vous l'eussiez fait; j'avais seulement vu la copie d'une certaine lettre qui semblait s'adresser à moi, et que notre frère le diacre Sisinnius a apportée ici, par laquelle vous m'exhortez à chanter la palinodie sur une explication d'un certain passage de l'apôtre saint Paul, et d'imiter en cela le poète Stésichorus qui, ayant dit tour à tour et du mal et du bien de la belle Hélène, mérita parles vers qu'il fit à sa louange de recouvrer la vue qu'il avait perdue pour en avoir mal parlé. Pour moi,je vous avouerai franchement que, quoiqu'il me semble avoir reconnu dans cette lettre et votre style et votre manière de raisonner, cependant j'ai cru que je ne devais pas légèrement ajouter foi à une simple copie, de peur de vous donner par ma réponse un juste sujet de vous plaindre de moi , et de m'accuser d'avoir répondu à cette lettre sans être certain que vous en étiez l'auteur. D'ailleurs la longue maladie de la vénérable Paula ne m'a pas permis de vous écrire plus tôt. Occupé à la soulager dans son mal sans pouvoir l'abandonner un seul moment, j'ai presque perdu le souvenir de la lettre en question, soit qu'elle vienne de vous ou de quelque autre qui l'a écrite sous votre nom. Vous savez « qu'un discours à contre-temps est comme de la musique dans le deuil. » Si donc vous êtes auteur de cette lettre, je vous prie de me le mander franchement, ou de m'en envoyer une véritable copie; afin que nous disputions sur l'Écriture sainte sans aigreur, et que je puisse ou corriger mes fautes, ou faire voir que c'est à tort qu'on les a relevées.
Pour moi, à Dieu ne plaise que je me mêle de censurer vos ouvrages! Je me contente d'examiner les miens , sans entreprendre de critiquer ceux d'autrui. Au reste vous savez bien que chacun veut suivre ses propres lumières, et qu'il n'appartient qu'à un jeune homme de vouloir par une sotte vanité se faire de la réputation dans le monde en attaquant des personnes d'un mérite reconnu. Comme vous ne me savez pas mauvais gré d'avoir d'autres opinions que les vôtres, aussi ne suis-je pas assez déraisonnable pour vous blâmer de ne pas entrer dans les miennes. Mais voulez-vous savoir en quoi nos amis ont droit de nous reprendre et de nous corriger? C'est lorsque, fermant les yeux sur nos propres défauts, nous ne les ouvrons que pour considérer ceux des autres.
Il ne me reste qu'à vous prier de m'aimer autant que je vous aime. Mais songez qu'un jeune homme ne doit pas provoquer un vieillard à disputer sur l'Écriture sainte. J'ai eu mon temps, et j'ai tâché de fournir ma carrière ; il est juste que je me repose maintenant pendant que vous courrez, et même plus loin que je n'ai fait. Mais, pour que vous ne paraissiez pas citer seul quelque chose de nos poètes, je rappelle le combat de Darés1 et d'Entellus, et le proverbe qu'un bœuf n'a jamais le pied plus ferme que quand il est bien las. C'est à regret que je vous parle de la sorte. Plût à Dieu que j'eusse le bonheur de vous embrasser et de m'entretenir avec vous, afin d'apprendre quelque chose l'un de l'autre!
Calphurnius Lanarius2 m'a envoyé un libelle où il me déchire avec son audace ordinaire. J'ai appris aussi qu'il avait eu soin de le faire passer jusqu'en Afrique. J'en ai réfuté une partie en peu de mots, et je vous envoie une copie de la réponse que j'y ai faite. Si j'ai le loisir d'en faire une plus étendue, je ne manquerai pas de vous l'envoyer à la première occasion. Je me suis bien donné. de garde dans ma réponse d'attaquer ses moeurs et de flétrir en quoi que ce soit la réputation qu'elles lui ont acquise. Je me suis contenté de réfuter les impostures et les sottises que son ignorance et son extravagance lui font débiter contre moi. Souvenez-vous de moi, saint et vénérable évêque. Jugez combien je vous aime, puisque je ne veux pas repousser les coups que vous m'avez portés, ni vous attribuer ce que j'aurais peut-être condamné dans un autre. Mon frère, qui est aussi le vôtre, vous salue avec soumission.
