2.
L'affection cesserait d'être affection si elle ne corrigeait pas les fautes. Comme il y a toujours quelque chose à guérir dans l'homme, elle frappe pour guérir, à l'exemple des médecins qui donnent la santé en blessant, ce qu'ils ne font pas sans donner lieu au malade de se plaindre d'eux. C'est ainsi que parmi les tribulations de cette tic, exposés aux coups du Seigneur qui guérit, nous nous plaignons de lui comme les malades se plaignent du médecin qui leur rend la santé. Servez-vous donc, mon frère, servez-vous du remède de la patience; supportez la pesanteur des tentations ; surmontez les dangers en souffrant qu'un esprit ferme et résolu soutienne et guérisse un corps abattu; que la vertu règne dans un corps dominé par la douleur; que votre âme triomphe au milieu des dangers. Il y a longtemps qu'elle sait les combats qu'elle doit soutenir contre les tentations. En se mettant sous le joug du Seigneur elle a été avertie de s'armer contre les afflictions. « Mon fils, » dit le Seigneur, « lorsque tu prends le joug de Dieu arrête-toi dans la,justice et dans la crainte, et prépare ton une aux tentations. » Si donc les tentations nous sont avantageuses, il ne faut pas nous étonner que nous y soyons exposés. C'est ce que saint Pierre nous apprend dans son épître : « Ne vous étonnez pas, »dit-il, « des afflictions : elles vous arrivent pour vous tenter, de peur que vous ne périssiez dans les tempêtes du monde. » La vie d'un chrétien est battue par une infinité de bourrasques, et devient plus illustre par les tourments et par les afflictions. C'est ce que Salomon nous enseigne quand il dit : « Unissez-vous au Seigneur et souffrez, afin que votre vie embellisse jusqu'à la fin. » Notre vie, qui est un voyage sur mer, aime les tempêtes et se déplait dans le calme. Nous cessons d'avancer quand le vent est bas, et nous sommes exposés au péril quand nous ne l'avons pas en face de nous. En effet l'on ne sait si celui-là appartient au Sauveur qui n'est point purifié par les vents de l'affliction , source de la gloire, qui ne vit pas de l'oppression, qui n'est point éprouvé par les châtiments, et qui n'est point guéri par les blessures. Les coups et les tentations venant de l'amour du Sauveur, qui à l'exemple du médecin nous guérit en nous faisant souffrir, il est certain que celui qui n'est pas exposé à ces coups et à ces tentations n'est pas aimé du Sauveur. Mais si le Sauveur m'aime, direz-vous peut-être, pourquoi suis-je accablé de tristesse par ses châtiments? pourquoi les blessures qu'il me l'ait troublent-elles mon esprit? Si je reçois des coups de celui qui m'aime, son affection sans doute n'est pas véritable puisqu'elle me traite comme sa haine me traiterait, et j'aime mieux qu'il me haïsse afin qu'il ne me frappe plus. Lien loin de là, prenez garde d'être haï puis que l'on vous aime toujours ; car l'amour se contente de corriger, et la haine menace du supplice; l'amour instruit seulement , et la haine prononce l'arrêt de condamnation. D'ailleurs c'est la faute de l'homme si Dieu le hait ou s'il est irrité contre lui : Dieu hait l'homme quand il en est offensé ; il est irrité contre lui quand il ne le prie pas après l'avoir offensé; c'est attirer sur soi la haine de Dieu que commettre des actions criminelles et ne vouloir pas le prier après les avoir commises. Au reste Dieu aime l'homme comme un artisan aime l'ouvrage qu'il a J'ait, mais il hait les méchantes actions qui causent la perte et la destruction de cet ouvrage; et, haïssant ces actions, il ne peut pas aimer celui qui en est l'auteur. De là vient que Salomon dit: « Dieu hait l'impie et son impiété. » Il vaut donc mieux, en ce monde qui périra avec le temps et dont la vieillesse est un signe de la ruine prochaine, recevoir de l'amour du Sauveur des blessures qui servent à notre guérison que d'attendre de sa haine une maladie incurable et vivre malheureusement, condamné par un arrêt. Il vaut mieux souffrir entre les mains du médecin une douleur légère et de peu de durée que de renvoyer le médecin et tomber dans des tourments qui durent toujours. Après cela, si vous vous étonnez que les souffrances soient une marque de l'affection de celui qui vous aime, vous devez aussi vous étonner que les remèdes du médecin fassent souffrir ceux qu'il guérit et qu'ils chassent le mal en faisant du mal. Il est impossible à celui qui veut remédier à une douleur de ne point causer de douleur, et il en fait sentir en guérissant, afin qu'achetant la santé avec des souffrances, elle nous soit plus précieuse. Celui donc qui est aimé ne peut assez être mis à toutes sortes d'épreuves; celui que l'on veut corriger ne peut s'exempter de souffrir les coups de celui qui l'aime; celui que l'on veut guérir ne peut être offensé par la violence des remèdes. Êtes-vous surpris de cela? Un malade à la guérison de qui l'on emploie le fer et le feu attend son salut des périls, et même il y a beaucoup de maladies qui ne se guérissent que de cette manière. Les médecins qui travaillent à rendre la santé font prendre pour remèdes, et non pas pour éteindre la soif, des breuvages si amers que l'on ne peut les boire sans se changer le front de rides; si vous considérez le visage de celui qui les boit, il paraît triste et inquiet : il faut cependant qu'il les boive pour recouvrer la santé. Oh ! l'avantageuse incommodité de la médecine! on contraint un homme à boire quand il n'a pas soif, et même la soif tient lieu quelquefois de remède : en effet, les médecins ordonnent parfois des diètes ; ils amoindrissent les corps par des jeûnes et des abstinences, et les rendent plus robustes par la faiblesse. Mais ce que j'ai dit jusqu'ici ne doit pas être comparé à ce que je dirai dans la suite : il y a des malades à qui l'on enlève la peau, à qui l'on scie les os pour les empêcher de mourir; il y en a d'autres à qui l'on coupe avec le fer des tumeurs; il y en a quelques-uns que le feu rafraîchit en les brûlant, et qu'une poudre corrosive déchire pour les guérir. Pour tout dire en un mot, l'homme souffre beaucoup entre les mains du médecin afin de conserver sa vie. Le péril où l'on trouve à souffrir des maux qui nous tiennent lieu de bienfait est sans doute nécessaire. L'on est assurément en danger entre les mains du médecin, mais on est perdu si l'on s'en retire. Il faut espérer la vie au milieu des tourments, et la mort est certaine si l'on cesse de se servir de ses remèdes. Il vaut donc mieux, quand la nécessité le demande, être dans le péril que périr entièrement, et je crois qu'il est plus utile de souffrir quelques douleurs qui nous sont avantageuses que de mourir en ne les souffrant point; c'est-à-dire qu'il vaut mieux souffrir de l'incommodité des remèdes que ne pouvoir être guéri. Je parle conformément aux sentiments du médecin céleste, et ce que je dis doit plutôt être appliqué à la santé de l'âme qu'à celle qu'un art douteux et incertain procure à un corps mortel. Il nous est donc plus utile que le Seigneur nous reprenne, qu'il nous châtie, et qu'il nous guérisse par ses coups, qu'être privés de ses remèdes comme des malades incurables. En effet, il éloigne de sa présence ceux qu'il voit infectés d'une maladie sans remède, et errants de vice en vice comme de la poussière ou de la paille soulevée par des tourbillons de vent. C'est ce qu'il dit lui-même : « Que les pécheurs s'éloignent de moi : Je ne veux point savoir duel chemin ils suivent puisque leur lumière est éteinte. Ils gémiront pendant leur vie, ils seront semblables à la paille qui est soulevée par le vent et à la poussière qui est emportée par la tempête. » Il ne veut point savoir quel chemin suivent ceux qui ne tiennent point la voie qui conduit au ciel; car il ne faut pas aller que vers Dieu, et tenir en Jésus-Christ un chemin serré et difficile à cause des tentations, mais qui nous conduit dans un endroit vaste et sûr. C'est par ce chemin seulement que l'on va au ciel, tous les autres conduisant à l'enfer. Voici comment en parle Salomon : « Il v a des chemins qui semblent droits aux hommes, mais ils trouvent à la fin la douleur et la tristesse. Ceux qui se laissent séduire par les attraits et par les tromperies de cette vie marchent par ces chemins, mais le temps les surprend et la mort les revoit et les enveloppe.
