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Après cela. la pauvreté n'est-elle pas préférable aux richesses, la difformité à la beauté, les mépris aux louanges, l'esclavage à la liberté, la faiblesse aux forces et la bassesse aux grandeurs? C'est ce que dit David dans un de ses psaumes : « Il m'est avantageux, Seigneur, que vous m'ayez abaissé, afin que je connaisse votre justice. » Il est plus utile d'être abaissé par un arrêt de la justice du ciel que d'être condamné avec le monde. « Les jugements de Dieu,» dit saint Paul, «nous servent de correction, de peur que nous soyons condamnés avec le monde. » Supportons donc sans murmurer les avantages qui nous reviennent de l'affection du Sauveur, qui nous distribue ses corrections comme un médecin distribue ses remèdes. Un médecin se sert quelquefois du fer et du feu : ne nous étonnons donc pas que Jésus-Christ, qui est le médecin de nos âmes, nous trouble par des traverses , nous éprouve par des maladies et nous purifie par des misères. Notre courage doit souffrir qu'on le mette à l'épreuve du feu comme les vases. C'est ce que dit l’Ecriture sainte : « La fournaise éprouve les vases du potier, et les tentations éprouvent les hommes; » et dans un autre endroit : « L'or, l'argent, le plomb, le fer et tout ce qui passe par le feu est purifié, » Les vases se plaignent-ils au potier de ce qu'il les met dans la fournaise et les éprouve en les brûlant? D'ailleurs si le feu ne prononce en faveur des vases et ne les trouve bons, ils ne peuvent servir à rien : de même si nous ne résistons à l'épreuve des tentations , nous sommes inutiles au potier qui nous a formés, qui nous fait passer par le feu pour nous guérir, qui nous vend pour nous affranchir et qui nous afflige pour nous sauver. Il n'y a rien de si impur qui ne soit purifié par les tentations: elles rendent aux plus sales leur première blancheur, comme le feu rend à l'acier rouillé son premier éclat et fait quitter à l'or et à l'argent ce qu'ils ont d'impur. Ainsi que l'on voit des arbres coupés produire heureusement de nouvelles branches, la stérilité se changer en fécondité et la racine d'un tronc sec et usé porter des fruits en abondance , de même une maladie nous défait de ce que le péché nous avait apporté de superflu et des taches dont une vieillesse nonchalante nous avait infectés. C'est pourquoi il faut être persuadé que la maladie du corps est un remède qui guérit. Ce corps, qui est la seule partie de nous-mêmes qui ait besoin de force et de santé, est tourmenté de maladie de peur qu'il ne nous tourmente lui-même, lui qui ne peut résister aux coups de la vieillesse, qui passe comme l'herbe qui sèche et dont la fleur tombe. De. là vient que l'on a dit : « La chair est semblable à l'herbe, sa beauté est semblable à la fleur de l'herbe : l'herbe sèche et sa fleur tombe, mais la parole du Seigneur demeure à jamais.» Ne murmurons donc pas de ce que notre corps, qui passe comme une herbe qui sèche et dont la fleur tombe, est affligé de maladies. D'ailleurs sa santé donne ordinairement la mort à l'âme, et soulève les plaisirs contre ce qui est utile à l'esprit; souvent elle fait mettre bas les armes aux soldats de la chasteté. Il est donc de notre intérêt que notre corps soit harcelé par de continuelles souffrances. Notre aveuglement va jusqu'à l'aimer, et nous nous soucions peu qu'il serve de prison à notre âme. Sans avoir égard à lui, regardons comme un trésor et recevons comme un bienfait tout ce qui nous arrive. Il es dangereux à celui qui est à la solde de Jésus-Christ de désirer d'être toujours dans le calme; c'est une marque de peu de courage d'appréhender la tempête ; c'est être malheureux que ne point connaître le malheur; c'est être Heureux que le connaître et savoir combattre contre lui. En effet tous les coups que nous recevons, comme je l'ai déjà dit, partant de la main du Sauveur comme un bienfait, que celui qui n'est pas exposé aux tentations apprenne qu'il n'en est pas aimé. Ainsi l'Ecriture dit : « votre Dieu vous tente pour connaître si vous l'aimez de tout votre cœur et de toute votre âme; » et dans un autre endroit : « Mon fils, ne méprisez pas la correction de Dieu et ne le quittez pas après qu'il vous aura repris, car il reprend celui qu'il aime ; » et ailleurs : « Ne méprisez point la correction du Seigneur, car il cause la douleur et donne le rafraîchissement, il frappe et ses coups guérissent. »
Et le prophète nous parle en ces termes « Unissez-vous à Dieu et souffrez, afin que votre vie soit augmentée à la fin ; recevez tout ce qui vous arrive, et supportez-le dans la douceur, et faites voir de la patience dans les souffrances, puisqu'elles éprouvent un homme comme le feu éprouve l'or et l'argent. En vous rapportant des passages des prophètes, dont les paroles sont les lois auxquelles vous devez obéir, je puis encore me servir de plusieurs belles maximes des païens, qu'ils ont tirées de l'Écriture sainte et que vous devez écouter comme autant de commandements. Voilà quelle est la première : « Le feu éprouve l'or, et l'affliction. les gens de bien. » En voici une autre : « Il n'y a personne plus malheureux que celui à qui il n'est jamais arrivé d'infortune, car il n'a jamais trouvé d'occasion de se connaître lui-même, tout lui ayant toujours réussi selon ses désirs. » Il est dit en un autre endroit : «Je vous estime malheureux de n'avoir jamais été malheureux. Vous n'avez pas eu d'ennemis depuis que vous êtes au monde: personne ne sait quelles sont vos forces, vous ne le savez pas vous-même. » En effet il faut avoir été dans l'occasion pour se connaître, et l'on n'apprend ce que l'on vaut que par la tentation. Un autre a dit : « Être longtemps heureux et vivre sans inquiétude, ce n'est pas goûter l'autre partie de la vie. » Endurons donc avec constance les Mictions, puisqu'elles nous apprennent ce que nous ne savons pas, qu'elles produisent la félicité et qu'elles purifient la vertu. Ainsi que le feu donne à l'or son éclat et sa beauté, de même celui qui n'est point tenté par les afflictions ne connaît pas une partie de sa félicité ni de ses forces. Salomon nous l'apprend lui-même par ces paroles : « Celui qui n'a pas été tenté en quelque chose ne sait ce qu'il est. Bénissez donc dans la maladie le Seigneur comme vous l'avez loué dans la santé. » Croyez que ces mots du prophète-poète s'adressent à vous : « Je bénirai le Seigneur en tout temps, j'aurai toujours ses louanges à la bouche. » Fortifiez-vous par ces paroles de Job : « Si nous recevons le bien de la main du Seigneur, pourquoi ne recevrons-nous pas aussi le mal qu'il nous envoie? Le Seigneur nous donne, le Seigneur nous ôte: que sa volonté soit faite, que son nom soit béni. » C'est donc mal fait que murmurer contre lui pendant la tentation, puisqu'il ne nous afflige que pour nous délivrer de nos vices, qu'il ne nous exerce que pour nous couronner, et qu'il ne nous frappe que pour nous donner une occasion d'être victorieux.
