4.
Le monde est semblable à la mer: sans être agitée par les vents, elle est enflée; même pendant le calme elle élève des flots menaçants et terribles, et quoiqu'elle ne fasse point de mal aux voyageurs, cependant son immense étendue leur imprime je ne sais quelle terreur : de même, nous qui voyageons au travers des embarras de cette vie, nous nous laissons souvent ébranler par des menaces , et particulièrement ceux qui sont enrôlés sous les étendards de Jésus-Christ. Je vous ai déjà dit due le monde était semblable à la mer, où le calme est rare, où les tempêtes sont fréquentes, où fon craint, où l'on appréhende sans cesse, et où enfin l'on ne trouve de la sûreté que dans le port. Les afflictions nous accablent de toutes parts , mais il est de notre vertu d'endurer jusqu'au port , c'est-à-dire jusqu'à la mort. Un pilote conserve un vaisseau au milieu des dangers: le courage de l'homme est le pilote qui doit le conserver, quoique attaqué d'une infinité de tempêtes; mais l'on attend avec plus de joie et l'on reçoit avec plus d'honneurs un vaisseau qui a bravé l'orage et les vents : une foule de peuple qui l'attend sur le port le voit arriver avec un plaisir extrême, et il trouve une sûreté pleine de gloire. Il est beau de voir dans un camp un soldat armé; mais un paresseux qui ne se connaît pas lui-même dans l'armée, et qui n'y est point connu des autres, paraît un spectacle étrange. Il ne faut donc pas juger désavantageux un péril où l'on trouve des prix à remporter : un soldat ne doit pas reculer ou craindre dans une occasion où la victoire l'attend. C'est être malheureux dans son bonheur que n'avoir point mérité de combattre contre des malheurs qui couvrent de gloire. Celui qui n'a pas eu à démêler avec l'affliction ignore jusqu'où va sa vertu. Un soldat quia toujours été enseveli dans la nonchalance ne sait point quelles sont ses forces et il ne se connaît pas lui-même ; celui qui n'a jamais été à la guerre n'a jamais triomphé; celui qui ne veut point supporter le poids des armes ne goûte jamais le plaisir de remporter des prix. Nous devons donc pratiquer ce qui nous conduit à la récompense, et souhaiter ce qui nous acquiert de la gloire. S'il se présente quelque chose qui mette nos forces et notre courage à l'épreuve et qui ébranle notre corps, recevons-le comme un bienfait singulier. Notre vertu doit être ferme et constante comme un rocher au milieu de la mer, contre lequel les ondes se viennent briser avec impétuosité et qui n'en est point ébranlé. Lors donc due l'adversité et les misères appellent un homme au combat et le forcent à se battre, qu'il paraisse armé du bouclier de la vertu, assuré parmi les périls, heureux dans le malheur, joyeux dans la tristesse et plein de santé dans la maladie, et que sa patience le rende victorieux dans le combat. On triomphe des maladies du corps quand l'âme sait les supporter : c'est pourquoi, lorsque le corps est abattu par la maladie, il faut pour ainsi dire faire une grande provision de vertu, et préparer ce qui ne peut ployer sous la faiblesse et recevoir les atteintes du temps.
Armez-vous donc, armez-vous de la foi, que rien ne saurait vaincre; endossez cette cuirasse impénétrable que Dieu a forgée pour les chrétiens ; opposez ce bouclier aux langueurs qui vous accablent, et vous triompherez de votre maladie. Soyez victorieux pendant que l'on vous bat: c'est ainsi que le mérite d'un chrétien augmente par l'adversité et se fortifie par les misères. Être ébranlé par les traverses, être éprouvé par les tribulations sont les exercices de la milice chrétienne. Un véritable chrétien sent croître ses forces dans les douleurs; sa jeunesse revient dans les tortures, et il la conserve en triomphant des tortures. Il doit donc entretenir ses forces et son courage par des escarmouches perpétuelle; et combattre sans cesse contre les périls; il doit, au milieu des écueils du siècle, travailler à arriver au port de la félicité éternelle, et recevoir avec un pouvoir absolu sur lui-même les coups salutaires qu'il reçoit de la main du médecin; il doit, dis-je, s'élever au faite de la gloire par l'usage des misères, et s'avancer vers la récompense par la souffrance des maux. Toutes sortes d'afflictions nous tiennent lieu d'occasions propres à faire connaître notre résolution et nous ouvrent le chemin à une couronne. Saint Paul, accablé d'une infinité de traverses, et combattant comme un soldat de Jésus-Christ contre la violence d'une maladie opiniâtre, parle de la sorte : « Je ferai gloire de mon infirmité afin que la grâce de Jésus-Christ soit en moi ; car il m'est permis de me glorifier dans les maladies, dans les mépris, dans les besoins, dans les persécutions et dans les afflictions, à cause du Sauveur; car quand je suis faible , c'est alors que je suis fort; » et en un autre endroit : « Toutes les fois que je suis affaibli je suis mieux éprouvé, et mes faiblesses ne me déplaisent point; » et ailleurs, priant le Seigneur qu'il le délivre des aiguillons de la chair, il fait connaître qu'il sait bien que la vertu s'entretient par la faiblesse : « Je sens , » dit-il, « un aiguillon de la chair : ce sont des coups de Satan, afin que je ne m'élève point. J'ai prié toutefois le Sauveur qu'il m'en délivrât, et il m'a dit que sa grâce me suffisait et que la vertu se perfectionnait dans la faiblesse; » car enfin la vertu ne se fortifie que par des expériences rudes et difficiles. Notre vie est un vaisseau qui se plaît dans les tempêtes et qui n'arrive jamais plus heureusement au port que quand il est battu par les vagues et emporté par les vents. Il est impossible d'être heureux auprès de Dieu si l'on n'a été purifié par les afflictions et par les misères de cette vie. Celui qui doit être estimé véritablement pauvre et malheureux qui est enseveli dans la houe des plaisirs ; celui-là est. véritablement malheureux qu'une félicité aveugle tient plongé dans les vices; celui-là est malheureux qui n'est point éprouvé par les tentations; car celui qui ne combat point ne remporte point de prix; celui qui craint les armes de l'ennemi ne remporte point de victoire. C'est une marque de peu de courage de craindre ce qui paraît redoutable; c'est une marque de paresse et de lâcheté sde prendre le parti où l'on est en sûreté. Un courage oisif et qui n'est point exercé dans les combats est un mérite imparfait et languissant; sans les combats la vigueur n'a pas de force, la générosité est abattue et la gloire obscurcie. Un brave soldat doit donc toujours être sous les armes, et chercher les occasions de faire éclater son courage parmi les hasards ; les blessures sont les parures de celui qui aime la guerre. II faut de l'usage et de l'expérience pour s'instruire à surmonter les travaux et pour connaître ce que l'on vaut. Un corps exercé par de fréquentes fatigues est plus fort et plus robuste. Le travail continuel augmente les forces des laboureurs; leurs mains s'endurcissent en cultivant la terre avec beaucoup de peine. Un vaisseau qui a été souvent battu de la tempête sait arriver au port au travers des périls, surmonter les vagues et combattre contre l'orage. Une armée aguerrie sait éviter les flèches des ennemis, et, pour mériter l'estime de son général, trouver la victoire dans les blessures. Ceux qui courent ordinairement ont le corps agile et dispos: l'exercice est le maître qui leur a enseigné à avoir cette agilité.
