3.
Grâce, lui dis-je, grâce! c’est bien assez pour moi de ces détails, si vous ne voulez pas me faire mourir tout à fait: laissez-moi partir tandis qu’il me reste encore un peu de force. Ce que vous avez commandé se fera; seulement, n’ajoutez rien à votre récit, mais priez, en partant, pour que le nuage de douleur qui offusque mon âme se dissipe, et que je reçoive du Dieu qu’on attaque quelque bonne inspiration pour la guérison des malheureux qui lui font la guerre. Il m’en accordera sans doute, lui qui est si clément et qui ne veut point la mort du pécheur, mais qu’il se convertisse et qu’il vive.
Ayant ainsi pris congé de lui, je mis la main à ce travail. Bien certainement, si le mal se bornait aux mauvais traitements qu’endurent maintenant les saints de Dieu, ces hommes admirables que l’on arrache de leurs cellules, que l’on traîne devant les tribunaux pour les maltraiter et leur faire souffrir tout ce que je racontais tout à l’heure; si, de cette persécution, il ne rejaillissait aucun préjudice sur la tête des persécuteurs, loin de gémir de ce qui s’est passé, je m’en réjouirais de tout mou coeur. Lorsqu’un petit enfant bat sa mère sans danger pour lui, les coups que celle-ci reçoit ne font que l’exciter à rire; et plus le petit enfant y met de colère, plus la joie de la mère est grande: elle éclate, elle se pâme de rire. Mais qu’à force de frapper toujours plus fort, l’enfant vienne à se blesser, que sa main ait rencontré l’aiguille attachée à la robe de sa mère vers la ceinture, ou la navette fixée sur son sein; alors, cessant de rire, la mère éprouve plus de douleur que l’enfant blessé; aussitôt elle soigne la blessure, et dorénavant elle lui défend avec menaces de frapper encore à l’avenir, pour qu’il ne lui arrive plus rien de semblable.
J’eusse fait de même, si je n’avais pas vu que cette espèce d’emportement puéril de Chrétiens, frappant l’Eglise, leur mère, était capable d’attirer sur eux les plus grands maux. Comme bientôt, quoiqu’ils ne s’en doutent pas, dominés qu’ils sont maintenant par la colère, comme bientôt ils doivent pleurer, gémir et pousser des lamentations, non pas des lamentations d’enfants, mais celles qu’on entend dans les ténèbres extérieures et dans le feu éternel, j’agirai encore comme font les mères, avec cette seule différence que je parlerai à ces hommes, qui sont de vrais enfants, non pas avec des reproches et des menaces, mais avec une grande modération et une tendre condescendance. Quant aux saints solitaires, ce n’est pas pour eux que j’écris, puisque ces vexations, loin de leur nuire, ne font qu’affermir leur confiance, et qu’augmenter leur gloire future.
Persécuteurs de l’Eglise de Dieu, je vous ferais envisager les biens et les maux de l’autre vie, si je ne savais que votre coutume est d’en plaisanter et d’en rire; mais quoique vous fassiez profession de vous railler de tout, je trouverai dans les exemples de la vie présente de quoi vous rendre sérieux. Nous ferons parler les événements et leur voix couvrira votre rire.
Vous connaissez sans doute Néron , cet homme fameux par sa débauche, qui fit voir sur le trône des moeurs d’une dissolution, d’une infamie que le monde ne connaissait pas et qu’il n’a point revue. Ce Néron porta contre saint Paul, qui vivait à la même époque, les mêmes accusations que vous dirigez contre ces saints du désert. L’Apôtre avait gagné à la Foi une concubine que l’empereur aimait passionnément ; il l’avait de plus amenée à rompre cette liaison coupable. Néron reprocha cette bonne action à saint Paul; il l’appela séducteur, vagabond; il lui donna tous les noms que vous prodiguez vous-mêmes aux moines. Il le jeta ensuite en prison, et comme le saint Apôtre continuait d’assister la jeune fille de ses conseils, le tyran le fit mourir.
Je vous demande maintenant quel dommage en est résulté pour la victime, et quel profit pour le meurtrier? ou plutôt, quel avantage n’en a pas retiré saint Paul mis à mort, et quel préjudice n’en est pas retombé sur Néron qui le fit mourir? L’un n’est-il pas glorifié par toute la terre comme un ange (je ne parle que du présent), et l’autre, exécré de tous comme un débauché et un affreux démon?
