CHAPITRE XXXVII. — Description de la sagesse, de la grandeur et de la puissance de Dieu par Eliu de Buz.
1. «Et mon coeur en a été saisi, » d'admiration. « Il est comme sorti de lui-même ; » des affections terrestres qui le charmaient, afin de s'élever vers le Seigneur.
2. « Ecoutez ses accents terribles, sa voix de tonnerre. » Il est ici évidemment inspiré. En effet il explique pourquoi son coeur est sorti de lui-même; c'est qu'il est soumis à l'autorité de l'Évangile, criant avec force dans le monde entier : « Faites pénitence; car le royaume de Dieu est proche 1. — Le bruit de sa voix se répand en tout lieu : » et va jusqu'à ceux qui sont dehors, plongés dans les sensualités de la vie présente.
3. « Il parcourt l'étendue des cieux, il envoie sa lumière jusqu'aux extrémités du monde : » lorsque l'Église s'est répandue chez toutes les nations.
4. « Après lui on a entendu une voix frémir. » Après son premier avènement, la trompette du dernier jour retentira dans les clartés de son second avènement 2. « Ce sera la voix de son orgueil. » Par son orgueil il désigne sa grandeur, car il fut humble dans son premier avènement. «Et quand cette voix se sera fait entendre, tout sera fini sans retour. » Maintenant donc, cherchons le Seigneur, tandis qu'on peut le trouver 3; c'est-à-dire le posséder par une foi réelle et sincère. On ne le pourra plus, lorsqu'il viendra nous juger, et qu'on entendra de lui cette parole : « Allez au feu éternel 4. » La pénitence des infidèles sera alors trop tardive et sans fruit.
5. « Le Tout-Puissant fera ainsi éclater son tonnerre. » Ce n'était point sa puissance, mais notre faiblesse communiquée à sa vie mortelle qui s'annonçait dans son premier avènement. C'est de lui qu'il est écrit : « Ce qui est faible en Dieu est plus fort que les hommes 5. — Il a « accompli des prodiges que nous avons ignorés : » ceux de son premier avènement. Aussi pour nous demander compte de ses dons il viendra nous juger. « Que nous avons ignorés. » Ceci s'applique à ceux qui n'ont point connu la divinité de Notre-Seigneur ; ils ne le voyaient que dans l'infirmité de la chair.
6. « Il a dit à la nuée : Descends sur la terre. » il l'a dit à sa chair, que nous devons recevoir dans le Sacrement, en mémoire de Lui 6, pour imiter son humilité, et établir en nous sa charité. « Les pluies abondantes, et les tempêtes excitées par sa puissance. » La nuée est à la vérité sur la terre; mais ce n'est point à nous, c'est à sa toute-puissance d'en faire sortir la rosée et la pluie de la parole, qui donnera à nos coeurs l'intelligence des mystères.
7. « Il met comme un sceau sur la main des hommes : » il leur fait comprendre par leurs actes combien ils sont coupables, afin qu'ils reconnaissent leur faiblesse, et, s'écrient : « Malheureux que je suis! qui me délivrera de ce corps de mort 7? »
8. « Les bêtes sauvages trouvent un abri, et se reposent dans leurs tanières. » Les pécheurs conduits par la grâce ont trouvé cet abri, et leur conscience a été en repos, après le pardon de leurs fautes.
9. «La tempête s'est élevée du fond de leur retraite. » La tentation lui est venue par des voies tout-à-fait mystérieuses. « Le froid est sorti des hauteurs. » Le jugement est secrètement venu sur ceux qui n'ont point persévéré: leur charité s'est refroidie, à cause de l'abondance de leurs iniquités 8. Châtiment bien mérité, puisqu'ils ont mis leur espoir non en Dieu, mais en l'homme.
10. « La glace se forme au souffle de Dieu. » Non seulement l'abondance de l'iniquité attiédit ceux qui mettent en l'homme leurs espérances, mailles bonnes oeuvres elles-mêmes de ceux qui ont l'esprit de Dieu endurcissent les coeurs glacés par l'envie : pour eux saint Paul est une odeur de mort pour la mort 9. Et qui saura comprendre comment la glace se forme au souffle du Seigneur? De même que les hommes charnels, qui louent leurs semblables, se refroidissent et se laissent aller au désespoir, en face de l'iniquité; de même ceux qui désirent être loués, s'endurcissent et s'abandonnent à l'envie, si la justice des hommes leur refuse ce tribut de louanges. « Il conduit l'eau comme il lui plait ; » faisant tomber la pluie sur une ville et non pas sur l'autre 10 ; ce qui doit s'entendre de la rosée de la grâce, qu'il répand dans les âmes selon qu'elles sont soumises ou ne le sont pas.
11. « Et la nuée a arrosé le froment : » soyons ce froment, si nous voulons être arrosés. « Elle a répandu la lumière. » La bonne nouvelle de son Incarnation.
12. « Elle tourne dans le cercle qui lui est tracé : » elle parcourt l'univers tout entier. « Prête à exécuter ce que lui commandera le Maître suprême. » Ces commandement; qui dirigent la nuée, sont les prédicateurs qui gouvernent l'Église pour faire accomplir les préceptes divins.
13. « Ainsi en a-t-il disposé sur la terre : » Notre-Seigneur. « Soit dans sa tribu, soit dans sa patrie. » D'abord dans la tribu de Juda, d'où il est né selon la chair, pour souffrir, ressusciter et monter, au ciel : de cette tribu étaient les Apôtres et beaucoup de frères qu'il trouva près de lui, et qui furent alors sauvés. D'autres furent encore appelés par lui avant sa passion, ou après son ascension, par les Apôtres, tant à Jérusalem, que dans les Églises de la Judée attachées au Sauveur, selon cette parole de l'apôtre saint Paul : « A cause de la vérité divine, pour confirmer les promesses faites à nos pères 11. — « Soit qu'il ait voulu la trouver dans sa miséricorde. » Il a voulu que la miséricorde apportât cette nuée aux Gentils qui croiraient en lui, car saint Paul ajoute : « Que les Gentils glorifient Dieu à cause de sa miséricorde 12. »
14. « Écoute et retiens ceci, ô Job. » Il veut réveiller l'attention, car il va parler de la vocation des Gentils. « Arrête-toi pour considérer la puissance de Dieu. » Ne sois pas inquiet en ton esprit, et ne t'attribue rien.
15. « Nous savons comment Dieu accomplit ses oeuvres, » en condamnant ceux qui se glorifient dans leurs actions « Quand il fit sortir des ténèbres la lumière:» quand il justifia les impies. Vous avez été autrefois ténèbres, vous êtes maintenant lumière dans le Seigneur 13.
16. « Il connaît les routes différentes des nuées : » des prédicateurs de son Evangile ; les uns ont cru eu lui avant sa Passion, les autres après. « Et les chutes immenses des méchants. » Il n'est pas ici question de ceux qui l'on crucifié et qui depuis ont fait pénitence, ont été baptisés en son nom : mais de ceux qui ne se sont point relevés de leurs chutes, et ont persévéré dans leur haine contre l'Église. Leur chute en effet ne fut point légère, mais des plus énormes.
17. « Ton vêtement est solide 14: » ton allure annonce l'orgueil ; il parle ainsi contre celui qui ose se vanter de ses actes.
18. «Tandis que la terre du midi est en repos, est-ce toi qui affermiras avec lui les cieux, et leur feras répandre partout la lumière dans la même mesure ? » La terre du midi s'entend parfaitement ici de ceux d'entre les Juifs qui ont cru en Jésus-Christ. Le soleil en effet semble plus éloigné des régions septentrionales et se rapprocher davantage des pays méridionaux. Voilà pourquoi ceux qua saint Paul dit plus rapprochés,de la lumière de l'Évangile 15, sont ici appelés avec raison la terre du midi. De plus, si nous appelons cieux les Evangélistes, comme dans ces mots : « Les cieux racontent la gloire de Dieu, » car c'est d'eux qu'il est dit : « Par tout l'univers ont retenti leurs accents : leur parole est allée jusqu'aux extrémités de la terre 16; » ainsi pouvons-nous désigner sous le nom de terre, les multitudes à qui fut apportée la bonne nouvelle. Quoique les peuples de la Judée qui crurent au Christ soient entrés dans leur repos en sortant de ce monde, l'autorité des prédicateurs de l'Évangile ne s'en affermit pas moins dans les Eglises issues de la Gentilité ; ce fut donc par la miséricorde divine et non par l'autorité de l'Eglise chrétienne de Judée. Aussi faut-il voir une interrogation dans le passage que nous expliquons, et l'entendre en ce sens : Quand la terre du midi fut en repos, c'est-à-dire lorsqu'il n'y eut plus en ce monde de société chrétienne parmi les Juifs, est-ce toi qui avec lui affermissais les prédicateurs de l'Evangile, établissais l'autorité des divines Écritures, dont Dieu dans sa miséricorde répandait les lumières également parmi les Juifs et parmi les Gentils? Il attribue ce bienfait à la grâce et à la bonté de Dieu, afin que personne ne se glorifie de ses mérites et ne tombe dans ce triste orgueil qui perdit les Juifs.
19. « Dis-moi donc ce qu'il faut lui répondre pour terminer nos longs discours. » Que lui dire en voyant que nous sommes par nous-mêmes dépouillés de tout,mérite, et que nous ne pouvons rien sans sa bonté ?
20. « Es-tu pour moi un livre ou un secrétaire ? et est-ce moi qui impose le silence à l'homme? » Pourquoi ne dis-tu rien, si tu sais que répondre ? Tu n'es pas chargé de recueillir ma parole, sans parler toi-même. Nous conversons tous deux.
21. « Tous ne peuvent voir la lumière qui « brille. dans les nues. » Il reprend ce qu'il a dit de l’espérance du pardon pour le pécheur et de la grâce que la divine miséricorde fait briller dans son âme. C'est la lumière qui reluit dans la nuée. Les nuages n'ont point essentiellement cette propriété; leur éclat leur vient d'ailleurs. Autre chose est de briller de sa propre lumière, autre chose de refléter l'éclat d'une lumière étrangère: mais tous ne font pas cette distinction, et beaucoup s'imaginent que les âmes brillent de leur propre lumière, lorsque la sagesse est en elles. Aussi est-il écrit qu'il en est qui se disent sages et sont devenus insensés 17. «.L'esprit passe et les purifie : » c'est l'esprit dont il est dit: «A votre menace, au souffle, de votre colère 18; » et ailleurs : « Où irai-je pour échapper à votre esprit 19 ? » L'épreuve des tentations révèle aux hommes ce qu'ils valent ; elle leur apprend que par leurs péchés ils ne sont que ténèbres, et ont besoin de la gloire de Dieu 20. Qu'ils cherchent donc à refléter sa lumière, et lui en attribuent tout l'honneur, jamais à eux-mêmes; et désormais, ayant déposé tout orgueil; ils seront purifiés du plus grand péché ; car l'esprit de sanctification ne passe pas, mais demeure.
22. « De l'aquilon vient la nuée aux couleurs d'or. » C'est en quittant l'impiété la plus coupable la plus éloignée de Dieu, qu'ils arrivent changés, purifiés, éclairés par la sagesse. Comment le sont-ils, si ce n'est par la grâce qui remet les péchés sans peser les mérites ? Aussi quand le Psalmiste voulait recevoir son pardon, il disait : « Que j'enseigne vos voies aux méchants, et que les impies se tournent vers vous 21; » comme les nuées venant de l'Orient ou de l'aquilon, lorsque leur obscurité à disparu aux couleurs du soleil. « Elle publie la gloire et l'honneur du Tout-Puissant. » Il y a plus d'amour, là où plus de péchés sont pardonnés : car le Tout-Puissant peut justifier l'impie.
23. « Et nul autre ne saurait égaler sa puissance : » seul il n'a point commis le péché, et jamais le mensonge n'a été sur ses lèvres; car Dieu seul est vérité et tout homme est menteur 22. Aussi le Dieu fait homme fut-il vainqueur, même quand on le jugeait. « Puisque ses jugements sont justes, crois-tu qu'il n'exaucera pas la prière? » Que l'homme n'ajoute donc point péchés à péchés en désespérant de son salut, comme s'il était condamné sans ressource, parce que Dieu est juste et ne peut le laisser impuni. Il est juste dans ses jugements, mais sans laisser d'exaucer celui qui implore son pardon ; plus même sa justice est rigoureuse, plus il .se montre généreux en pardonnant; car ce ne serait pas justice que de confondre l'humble repentir avec l'orgueil qui refuse de s'humilier et de faire pénitence.
24. « C'est pourquoi tous les hommes le redouteront; » s'ils se souviennent qu'ils sont hommes. « Et les sages eux-mêmes le redouteront ; » pour ne devenir pas insensés, en se glorifiant de ce qu'ils ont reçu et en se vantant de leur sagesse : car on peut enlever aux orgueilleux ce qui est donné- aux humbles. Donc que les sages, dont la sagesse est un rayonnement intérieur de la grâce, et n'éclate pas en vains discours, que les rois qui jugent selon les lumières de l'esprit et ne sont jugés par personne 23, servent Dieu avec crainte et qu'ils se réjouissent avec tremblement, pour ne point périr hors de la voie droite 24 ; car c'est Dieu qui opère en eux et le vouloir et le faire, selon sa bonne volonté 25.
Matt. III, 2. ↩
I Cor. XV, 52 ; I Thess. IV, 15. ↩
Is. IV, 6. ↩
Matt. XXV, 41. ↩
I Cor. I, 25. ↩
Luc, XXII, 19, 20. ↩
Rom. VII, 24. ↩
Matt. XXIV, 12, 13. ↩
II Cor. II, 16. ↩
Amos, IV, 7. ↩
Rom. XV, 8, 9. ↩
Ib. XV, 9. ↩
Eph. V,8. ↩
En grec therme chaud. ↩
Eph. II17. ↩
Ps. XVIII, 2, 5. ↩
Rom. I, 22. ↩
Ps. XVII, 16. ↩
Ib. CXXXVIII, 7. ↩
Rom. III, 22. ↩
Ps L, 15. ↩
I Pierre, II, 22. ↩
I Cor II, 15. ↩
Ps. II, 11.12. ↩
Philip. II, 13. ↩
