35.
Contre ces tentations si grandes et si nombreuses que nous subissons aujourd'hui, et qui n'étaient point connues dans le paradis terrestre, nous avons besoin d'une plus grande liberté, fortifiée et soutenue par le don de persévérance, pour nous assurer la victoire sur ce monde, ses séductions, ses terreurs et ses mensonges. Telle était la doctrine des saints martyrs. D'un côté, personne ne tentait d'essayer la terreur contre le premier homme; de l'autre côté, Dieu lui avait intimé ses ordres et leur terrible sanction, et cependant; s'inspirant de son libre arbitre, Adam ne sut pas persévérer dans son bonheur et dans l'extrême facilité où il était de ne pas pécher. Nos martyrs, au contraire, bravant, non pas seulement les menaces, mais la barbarie et les persécutions du monde, restèrent inébranlables dans la foi, n'ayant pour se soutenir que l'espérance de biens futurs qu'ils ne voyaient pas, tandis que le premier homme pouvait contempler tous ces biens présents que son crime allait lui ravir. Pouvons-nous expliquer cette différence sans remonter à ce Dieu de qui nos martyrs ont obtenu miséricorde afin d'être fidèles1 ; de qui ils ont reçu l'esprit, non pas de crainte , pour faiblir devant leurs persécuteurs, mais l'esprit de force, de charité et de continence2, pour triompher de toutes les menaces, de toutes les séductions, de tous les tourments? Adam, sans péché, reçut la volonté libre avec laquelle il fut créé, et cette volonté il l'a fait servir au péché ; la volonté des martyrs avait été primitivement asservie au péché, mais elle fut ensuite délivrée par Celui qui a dit : « Si le Fils vous délivre, vous serez véritablement libres3 ». Cette grâce leur avait conféré une si grande liberté que, malgré la nécessité où ils se trouvaient en cette vie de combattre contre les convoitises du péché et les défaillances accidentelles qui chaque jour leur arrachaient cette prière : « Pardonnez-nous nos offenses4 », jamais cependant ils ne devinrent les esclaves de ce péché qui conduit à la mort, et dont l'apôtre saint Jean nous a dit : « Il est un péché qui va à la mort, et je ne dis pas que l'on doive prier pour lui5 ». Comme cette espèce de péché n'est point déterminée, les opinions peuvent se former aussi nombreuses que variées ; pour moi, ce péché consiste à renoncer jusqu'à la mort à cette foi qui opère par la charité. Ceux qui se rendent coupables de ce péché ne jouissent pas, comme Adam, de la liberté primitive; ils ont dû être délivrés dans le second Adam par la grâce de Dieu, et cette rédemption leur a conféré le libre arbitre pour servir le Seigneur et non pour se constituer les esclaves du démon. Ayant donc été affranchis du péché, ils sont devenus les serviteurs de la justice6, dans laquelle ils persévéreront jusqu'à la fin par l'efficacité de cette persévérance qui leur a été donnée par Celui qui les a connus dans sa prescience, les a prédestinés, appelés selon son décret, justifiés et glorifiés. Car toutes ces promesses qui regardaient l'avenir sont déjà pour eux réalisées. Ne lisons-nous pas: « Abraham crut » à ces promesses, « et sa foi lui fut imputée à justice? » Car il rendit gloire à Dieu, étant pleinement persuadé qu'il est tout-puissant pour accomplir a tout ce qu'il a promis ».
