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Quelle folie de dire que si tels enfants ont obtenu la grâce du baptême avant de mourir, c'est dans la prévision de leurs mérites futurs, tandis que d'autres sont morts sans baptême, parce que Dieu connaissait par avance les péchés dont, en vivant, ils se seraient rendus coupables? Puisqu ils n'ont pas vécu, n'est-il pas évident que Dieu n'avait ni à récompenser une vie bonne, ni à punir une vie mauvaise1 ? L'Apôtre a fixé une limite qu'une imprudente témérité, pour ne rien dire de plus, ne saurait dépasser. Voici ses paroles : « Nous devons tous comparaître devant le tribunal de Jésus-Christ, afin que chacun reçoive ce qui est dû aux bonnes ou aux mauvaises actions qu'il aura faites par son corps2 ». « Qu'il aura faites », et non pas qu'il a ajoutées, ou qu'il aurait faites. En vérité, je cherche, mais en vain, ce qui a pu laisser croire à ces hommes que des enfants seraient punis pour des fautes futures qui, pour eux, ne devaient point se réaliser, ou qu'ils seraient récompensés pour des mérites qu'ils ne devaient même point acquérir.
L'Apôtre proclame que l'homme sera jugé selon les œuvres qu'il aura faites par son corps. Pourquoi donc cette expression : Par son corps, quand beaucoup de nos oeuvres s'accomplissent uniquement par l'esprit, et non par le corps ou les membres du corps? Combien de crimes intérieurs commis par la pensée, et qui méritent un juste châtiment? Sans parler des autres, se peut-il un crime plus grand que celui-ci : « L'insensé a dit dans son coeur : il n'y a point de Dieu3 ? » Par conséquent, ces paroles : « Chacun recevra selon les oeuvres qu'il aura faites par son corps », doivent se traduire ainsi : Chacun recevra selon les oeuvres qu'il aura faites, pendant qu'il était revêtu de son corps. Quand le corps sera dissous, personne n'en sera de nouveau revêtu qu'à l'époque de la résurrection dernière; et alors ce ne sera plus pour acquérir des mérites, mais pour recevoir, jusque dans son corps, la récompense du bien ou le châtiment du mal que l'on aura fait. En attendant ce grand jour, et pendant cette époque intermédiaire qui suit la mort et précède la résurrection, les âmes sont récompensées du bien ou punies du mal qu'elles auront fait pendant qu'elles étaient unies à leur corps. C'est sur la présence simultanée du corps et de l'âme que se fonde ce dogme important que les Pélagiens nient, et que l'Église proclame, le péché originel. Que ce péché soit pardonné par la grâce de Dieu, ou que, dans sa justice, Dieu lui refuse le pardon, toujours est-il que les enfants, à leur mort, passent du mal au bien par le mérite de la régénération, ou passent du mal au mal par l'effet de leur origine. Telle est la foi catholique, telle est la doctrine professée, sans aucune contradiction, même par certains hérétiques.
Mais s'il s'agit de soutenir que l'homme est jugé, non pas selon les oeuvres qu'il a faites pendant qu'il était revêtu de son corps, mais selon les œuvres qu'il aurait accomplies s'il eût vécu plus longtemps sur la terre; je dois dire qu'une telle opinion m'étonne et me confond, quand surtout je vois par votre lettre qu'elle est émise par des hommes de talent et d'expérience. Je n'y croirais pas, si j'osais ne pas croire à votre témoignage. Dieu, sans doute, daignera les éclairer, et ils comprendront que si la justice de Dieu ne peut frapper dans les enfants les péchés que plus tard ils auraient commis, sa grâce est toute-puissante pour pardonner aux enfants baptisés les fautes dont ils peuvent se rendre coupables. Celui qui dirait que Dieu, dans sa justice, peut frapper pour des péchés futurs, et qu'il ne peut les pardonner dans sa miséricorde, devrait peser sérieusement la gravité de l'injure que ce langage fait à Dieu et à la grâce. N'est-ce point l'outrager que de supposer qu'il peut connaître les péchés par avance, mais qu'il ne peut les pardonner? C'est là un crime et une absurdité, qui imposeraient à Dieu le devoir rigoureux de refuser le baptême à ceux des enfants qui meurent avant l'âge adulte et qui seraient devenus pécheurs si Dieu les avait laissés sur la terre.
