XXIV.
Il s'en trouvait qui même alors ne comprenaient pas: Thomas ne fut-il pas quelque temps incrédule? «Seigneur, lui dit-il, nous ne savons où vous allez, et comment pourrions-nous en savoir la voie?» Mais Jésus lui dit: «Je suis la voie, la vérité et la vie; personne ne vient au Père que par moi. Si vous me connaissiez, vous connaîtriez aussi mon Père; mais vous le connaîtrez bientôt et vous l'avez déjà vu.»
Nous voici parvenus à Philippe, qui, excité par l'espérance de voir le Père, et ne comprenant pas dans quel sens le Seigneur lui avait dit qu'il avait déjà vu le Père, s'écrie aussitôt: «Seigneur, montrez-nous votre Père, et il nous suffit.» Jésus lui dit: «Il y a si long-temps que je suis avec vous, et vous ne me connaissez pas?» Le connaître, leur dit-il, mais en quelle qualité? car voilà seulement ce qu'il faut chercher. Est-ce comme Père? est-ce comme Fils? Si c'est comme Père, que Praxéas nous montre que le Christ, qui vivait avec eux depuis si longtemps, a pu un seul moment, je ne dis pas être regardé par eux comme le Père, mais même être soupçonné comme tel. Toutes les Ecritures anciennes ou nouvelles nomment clairement, les premières le Christ de Dieu, les secondes le Fils de Dieu. C'est ainsi que l'antiquité l'annonçait; c'est ainsi que se proclamait Jésus-Christ lui-même. Mais que dis-je? c'est ainsi que le proclamait le Père, lorsque du haut des cieux il le déclarait son Fils et le glorifiait à ce titre. «Celui-ci est mon Fils; je l'ai glorifié et je le glorifierai encore.» Voilà ce que le croyaient les disciples, voilà ce que ne le croyaient pas les Juifs; voilà enfin ce qu'il voulait qu'on le crût, lorsqu'à toute heure il nommait son Père, lorsqu'il se disait inférieur à son Père, lorsqu'il rendait hommage à son Père. S'il en est ainsi, ce n'est donc pas le Père qu'ils ignoraient, mais le Fils qui conversait depuis si long-temps avec eux. Et le Seigneur reprochant à celui qui l'ignorait de ne pas le connaître, voulait donc se faire reconnaître pour celui qu'il lui reprochait de ne pas connaître, c'est-à-dire pour le Fils. De là il devient évident dans quel sens il a dit: «Celui qui me voit, voit aussi mon Père.» Dans le même que plus haut: «Mon Père et moi nous ne sommes qu'un.» Pourquoi cela? parce que: «Je suis sorti de Dieu et que je suis venu,» et encore: «Je suis la voie; personne ne vient à mon Père que par moi. ---- Nul ne peut venir à moi si mon Père ne l'attire. ---- Le Père m'a remis toutes choses en main. ---- Comme le Père vivifie, ainsi le Fils vivifie. ---- Si vous me connaissez, vous connaissez aussi le Père.»
D'après ces oracles, par conséquent, il se déclarait le Vicaire de son Père, par qui le Père était manifesté dans ses œuvres, entendu dans ses paroles et connu dans le Fils, ministre des actes, et des paroles du Père, parce que le Père est invisible, chose que Philippe avait apprise dans la loi, et dont il aurait dû se souvenir: «Nul ne verra Dieu sans mourir.» Voilà pourquoi le Seigneur lui adresse des reproches quand il désire voir le Père, comme s'il était visible, et lui apprend qu'il devient visible dans le Fils, non par la présence de sa personne, mais par le témoignage de ses vertus.
D'ailleurs si, en disant: «Qui voit mon Père me voit,» il voulait faire comprendre que le Fils se confond avec le Père, pourquoi ajoute-t-il, «Ne croyez-vous pas que je suis en mon Père et que mon Père est en moi?» Il aurait dû ajouter, en effet: ne croyez-vous pas que je suis mon Père? Ou bien, à quoi bon insister là-dessus, s'il ne manifestait pas ce qu'il voulait que l'on comprit, c'est-à-dire qu'il était le Fils? Or, en disant: «Ne croyez-vous pas que je suis en mon Père et que mon Père est en moi,» il revint là-dessus, de peur que l'on ne s'autorisât de ces paroles: «Celui qui me voit, voit mon Père» pour dire qu'il était le Père, titre qu'il n'a jamais voulu accepter, puisqu'il déclarait constamment qu'il était le Fils, et qu'il venait au nom du Père. Il manifesta donc l'union des deux personnes divines, afin que l'on ne demandât plus à voir le Père isolément, comme s'il était visible, et que le Fils fût regardé comme la représentation du Père. Toutefois, il ne manqua pas d'expliquer comment le Père était dans le Fils et le Fils dans le Père: «Ce que je vous dis, ajouta-t-il, je ne le dis pas de moi-même mais mon Père, qui demeure en moi, lait les œuvres que je fais.» C'est donc par ses œuvres miraculeuses, et par les paroles de sa doctrine, que le Père, demeurant dans le Fils, se manifeste par les œuvres en vertu desquelles il demeure et par celui dans lequel il demeure, outre que la propriété des deux personnes est attestée par ces paroles: «Je suis dans mon Père et mon Père est en moi. Croyez-le,» ajoute-t-il. Quoi? que je suis le Père? je ne pense pas que l'Ecriture le dise, mais plutôt «que je suis dans mon Père et mon Père en moi. Croyez-le, au moins à cause des œuvres que je fais;» ces œuvres indubitablement par lesquelles le Père était visible dans le Fils, sinon à l'œil, du moins à l'intelligence.