XV.
Si je n'ai pas réussi à prouver ce point par les textes de l'Ecriture ancienne, j'emprunterai au Testament nouveau la confirmation de notre explication, pour t'empêcher d'attribuer au Père ce que je revendique pour le Fils. Voilà que je trouve dans les Evangiles et dans les Apôlres un Dieu visible et invisible sous la distinction manifeste et personnelle de l'une et de l'autre nature. Jean s'écrie en quelque façon: «Personne n'a jamais vu Dieu.» Dans le passé, non sans doute. Il a coupé court à toute discussion sur le temps quand il a déclaré que personne n'avait jamais vu Dieu. L'Apôtre confirme cette vérité: «Dieu,» dit-il, qu'aucun homme n'a jamais vu et même ne peut voir;» apparemment parce qu'il mourrait, s'il le voyait. Les mêmes Apôtres attestent solennellement qu'ils ont vu Dieu et qu'ils l'ont touché. Si Jésus-Christ est le même que Dieu, et le Fils le même que le Père, comment peut-il tout à la fois avoir été vu et n'avoir pas été vu?
Pour réduire à un seul être la diversité de celui qui est vu et de celui qui n'est pas vu, j'entends mon adversaire me répondre que les deux expressions sont justes, que Dieu fut visible quand il eut revêtu la chair, invisible avant de l'avoir revêtue, de sorte que le Père, invisible avant la chair, est le même que le Fils visible dans son humanité. Et moi je demande, si le Père était invisible avant d'avoir revêtu la chair, d'où vient que l'Ecriture me dit qu'on l'a vu avant qu'il se fût incarné? De même, s'il est visible une fois incarné, d'où vient que les Apôtres le déclarent maintenant encore invisible? Pourquoi? Sinon parce qu'il en existe un autre, qui, après avoir été aperçu autrefois en énigme, s'est manifesté plus pleinement par son humanité, et cet autre, c'est le Verbe qui s'est fait chair, et que personne n'a jamais vu, excepté le Père, puisque c'est son Verbe.
Enfin, examinons quel est celui qu'on, vu les Apôtres? «Ce que nous avons vu de nos yeux, dit Jean, ce que nous avons considéré, ce que nos mains ont touché, la parole de vie.» La parole ou le Verbe de vie, en effet, s'étant incarné, a été vu, a été entendu, a été touché, parce que celui-là s'est incarné qui, avant sa chair, «était Verbe au commencement dans Dieu le Père,» et non le Père dans le Verbe. Car, quoique «le Verbe soit Dieu, il ne laisse pas d'être en Dieu,» parce qu'il est Dieu de Dieu, avec le Père dans le Père. «Et nous avons vu sa gloire, comme la gloire que reçoit de son Père le Fils unique;» tu l'entends! la gloire du Fils unique, c'est-à-dire de celui qui est visible et qui a été glorifié par le Père invisible. Voilà pourquoi, ayant appelé tout à l'heure Dieu le Verbe de Dieu, pour ne pas venir en aide à la présomption de nos adversaires, comme s'il avait vu le Père en personne, l'Apôtre, afin de distinguer d'avec le Père qui est invisible, le Fils qui est visible, ajoute comme par surcroît: «Nul ne vit jamais Dieu.» Quel Dieu? Le Verbe? Non sans doute. Il vient de dire: «Ce que nous avons vu, ce que nous avons entendu, ce que nous avons touché.» Mais quel Dieu, donc? Le Père, «en qui était le Verbe, c'est-à-dire le Fils unique de Dieu qui résidait dans le sein du Père, comme il nous l'a manifesté lui-même.» Voilà celui qui a été vu, celui qui a été entendu, celui qui même a été touché, de peur qu'on ne le crût un fantôme. Voilà celui qu'a vu Paul, qui cependant n'a pas vu le Père. «N'ai-je pas vu Jésus?» dit-il. Mais Paul lui-même proclame la divinité de Jésus-Christ: «Qui ont pour pères les patriarches, dit-il, et de qui est sorti, selon la chair, Jésus-Christ même, le Dieu au-dessus de toutes choses et béni dans tous les siècles.» Il nous montre également que le Fils de Dieu, c'est-à-dire le Verbe, est visible parce que celui qui s'est incarné a été appelé le Christ. Il parle ainsi à Timothée du Père: «Qu'aucun homme n'a vu ni ne peut voir:» puis, pour donner encore une plus haute idée de sa grandeur: «Qui seul possède l'immortalité, qui habile une lumière inaccessible. «Il avait dit plus haut: Au roi des siècles, au Dieu qui est l'immortel, l'invisible, l'unique,» afin que nous attribuassions au Fils les qualités opposées, la mortalité, la visibilité. Ailleurs Paul déclare «qu'il est mort selon les Ecritures,» et enfin «qu'il s'est fait voir à lui,» dans sa lumière accessible par conséquent, quoique cependant il ne l'eût pas contemplée sans courir le risque de perdre la vue; ni Pierre, Jean et Jacques, sans péril pour leur raison et une démence passagère. Si c'était le Père qu'ils eussent vu dans sa splendeur, et non la gloire du Fils qui allait souffrir, ils seraient morts sans aucun doute. «Nul, en effet, ne verra Dieu sans» mourir.»
S'il en est ainsi, il est certain que celui qui se montra vers la fin des temps se montra toujours dès le commencement, et que celui qui ne se montra point vers la fin des temps ne se montra point non plus dans le commencement; que par conséquent il en existe deux, l'un qui a été vu, l'autre qui n'a point été vu. C'est donc le Fils qui a toujours été vu, le Fils qui a toujours conversé; le Fils qui a toujours opéré, conformément à l'autorité et à la volonté du Père, «parce que le Fils ne peut rien faire par lui-même qu'il ne le voie faire au Père,» qui le fait en pensée; car le Père agit par pensée. Quant au Fils, qui réside dans la pensée du Père, il exécute en voyant. «C'est ainsi que tout a été fait par le Fils, et que rien n'a été fait sans lui.»
