XI.
Enfants assis sur la place publique et criant les uns aux autres 1. — Par la comparaison des enfants assis sur la place publique et qui crient les uns aux autres, Jésus répond en sens inverse aux questions qui lui ont été faites. Ces paroles : « Nous avons chanté des airs lugubres et vous n'avez pas pleuré, » sont une allusion à Jean-Baptiste, dont l'abstinence relativement au boire et au manger figurait le deuil de la pénitence. Celles-ci au contraire : « Nous avons joué de la flûte et vous n'avez pas dansé, » se rapportent à Jésus lui-même, qui mangeant et buvant comme le reste des hommes, représentait ainsi la joie du royaume. Les Pharisiens ne voulurent ni s'humilier avec Jean, ni se réjouir avec le Christ ; disant le premier possédé du démon, le second homme de bonne chère, adonné au vin, ami des publicains et des pécheurs. Jésus ajoute : « Et la sagesse fut justifiée par tous ses fils. » Cela veut dire : Les enfants de la sagesse comprennent que la justice ne consiste ni dans l'abstinence, ni dans le manger, mais dans l'égalité d'âme qui supporte la disette et qui sait dans l'abondance user de modération et ne point se laisser corrompre, pratiquant quant à propos tantôt l'abstinence, tantôt l'usage des aliments, l'usage n'étant point répréhensible, mais seulement le désir déréglé. La nature des aliments que l'on emploie pour subvenir aux besoins de l'existence est en effet chose de nulle importance ; il suffit à cet égard de se conformer aux habitudes des personnes avec lesquelles on est appelé à vivre. La quantité de nourriture est également assez indifférente. Il y a des personnes dont la faim est promptement apaisée, et qui, pour le peu de nourriture qui leur est nécessaire, soupirent avec une ardeur, une impatience tout à fait ignominieuse. D'autres au contraire, à qui une plus grande quantité d'aliments est indispensable, supportent mieux la privation, et lors même que le repas est servi, savent attendre si les bienséances ou la nécessité l'exigent, regardant d'un oeil tranquille, et s'abstenant. Non ce n'est point la qualité ni la quantité des mets dont on use qui a quelque chose d'important ; ces choses dépendent de la condition des personnes, de leur dispositions, des besoins du tempérament. Ce qui est important, c'est de supporter les privations, lorsque la nécessité, ou des circonstances non moins impérieuses le commandent, avec facilité et le coeur joyeux, et d'accomplir avec une générosité chrétienne ce que dit l'Apôtre : « Je sais avoir besoin, et je sais être dans l'abondance, car j'ai été instruit à faire profit de tout. « Je sais être rassasié, satisfait, et souffrir la faim, avoir le superflu et endurer l'indigence ; je puis tout en Celui qui me fortifie 2 ; » et ailleurs:. « Si nous avons la nourriture, nous ne commettrons point d'excès; si elle nous fait défaut, nous n'en serons point en peine 3 ; » et encore : « Car le royaume de Dieu n'est point le manger et le boire, mais la justice et la paix et la joie ; non la joie des festins grossiers dans lesquels les hommes ont coutume de mettre leur plaisir, mais la joie dans le Saint-Esprit 4. » C'est ainsi que la sagesse est justifiée par tous ses enfants. Tous comprennent que la diversité des circonstances détermine l'usage ou l'abstention des choses terrestres, mais que la disposition à supporter leur privation, et à désirer les jouissances de l'éternité, est indépendante des temps et doit subsister invariable et permanente.
