XLVI.
Le prince qui va prendre possession de son royaume 1. — Il y avait un homme de grande naissance, qui s'en alla dans un pays éloigné, « pour y prendre possession d'un royaume, et revenir ; » cet homme distingué, c'est Notre-Seigneur Jésus-Christ lui-même. Ce pays éloigné c'est l'Eglise des nations répandue jusqu'aux extrémités de la terre. Il doit cependant revenir ; il s'est éloigné en effet, pour faire entrer la plénitude des nations ; et il reviendra, pour que tout Israël soit sauvé 2. Les dix mines signifient les dix commandements de la loi ; les dix serviteurs, ceux à qui la grâce a été annoncée quand ils étaient -soumis à cette même loi. Car il faut bien l'entendre : les dix mines leur furent confiées, quand ils comprirent qu'il n'y avait plus de voile et que la Loi elle-même faisait partie de l'Evangile. Ceux de son pays qui lui envoyèrent des députés, pour protester qu'ils ne voulaient pas de lui pour roi, sont les Juifs, qui, même après la résurrection de Jésus-Christ, firent endurer des persécutions aux Apôtres et repoussèrent la prédication de l'Evangile. Or, il revint, après avoir pris possession de son royaume : Celui qui est venu dans l'humanité, disant : « Mon royaume n'est pas de ce monde 3 , » viendra un jour dans l'appareil et l'éclat le plus magnifique. Les serviteurs qui rendent compte de ce qu'ils ont reçu, et qui sont loués de l'avoir fait fructifier, représentent ceux qui,ayant fait bon usage de la foi, pour augmenter les richesses du Seigneur dans la personne de ceux qui croient, ont ainsi un compte favorable à rendre. Ceux qui se refusent à agir de la sorte, sont figurés par celui qui conserva sa mine enveloppée dans un mouchoir. Il y a en effet des hommes assez pervers pour se flatter de dire : Il suffit à chacun de rendre compte pour soi; qu'est-il besoin de prêcher aux autres ou de les servir, pour être ensuite forcé de rendre compte aussi pour eux, puisque ceux-là mêmes sont inexcusables devant Dieu, qui n'ont pas reçu la loi ni entendu l'Evangile, et se sont endormis : parce qu'ils pouvaient au moyen de la créature connaître le Créateur, ses perfections invisibles étant devenues intelligibles depuis la création du monde, par la connaissance que les créatures nous en donnent 4, ? C'est en effet comme recueillir où il n'a pas semé, c'est-à-dire, considérer comme des impies ceux qui n'ont pas reçu la parole de la loi ou de l’Evangile. — Pour se soustraire, en quelque sorte, aux sévérités du jugement, ils s'abstiennent, dans une honteuse paresse, du ministère de la parole ; or, c'est là tenir son talent enveloppé dans un mouchoir. Par cette banque où l'argent devait être déposé, nous entendons la profession même de la Religion, qui s'ouvre en quelque sorte publiquement pour procurer la facilité du salut. Parmi les serviteurs fidèles, celui qui a acquis dix mines et celui qui en a acquis cinq, représentent ceux qui, ayant eu l'intelligence de la loi par le moyen de la grâce, ont été acquis eux-mêmes au bercail du Seigneur, soit parce que la loi est contenue dans le décalogue, soit parce que le promulgateur de la Loi a composé les cinq livres du Pentateuque. Les dix villes et les cinq villes, sur lesquelles, ces serviteurs ont autorité, ont la même signification. La multiplication de l'intelligence dans la variété qui naît elle-même de chaque précepte ou de chaque livre, rapportée à un seul objet, forme pour ainsi dire la cité vivante des raisons éternelles. Car cette cité ne se compose pas d'êtres quelconques, mais d'une multitude d'intelligences raisonnables, unies ensemble par les liens d'une même loi. On ôte ce qu'il avait reçu à celui qui ne l'a pas t'ait fructifier, et on le donne à celui qui avait dix mines ; cette circonstance signifie que celui qui possède un don de Dieu, mais l'a comme s'il ne l'avait pas, c'est-à-dire, ne le fait pas fructifier, peut même le perdre ; et que ce don peut s'accroître dans celui qui l'a dans un sens vrai, c'est-à-dire , en fait un bon usage. Quant à l'ordre donné par le roi de mettre à mort ses ennemis en sa présence, il marque l'impiété des Juifs qui n'ont pas voulu se convertir au Seigneur.
