7.
Il est un docteur, aussi humble que pieux, qui ne parlait pas ainsi. J'ai nommé le bienheureux Cyprien, qui s'écriait : « Nous ne devons nous glorifier de rien, puisque rien ne nous appartient1 ». Comme preuve il invoque ce témoignage de l'Apôtre : « Qu'avez-vous que vous ne l'ayez reçu ? Si donc vous l'avez reçu, pourquoi vous en glorifier comme si vous ne l'aviez pas reçu2 ? » Après avoir médité ce passage, j'ai compris moi-même que c'était une erreur de ma part de penser que la foi par laquelle nous croyons en Dieu, n'est pas un don de Dieu, mais notre œuvre exclusivement personnelle, et le principe à l'aide duquel nous obtenons de Dieu les secours dont nous avons, besoin pour vivre ici-bas dans la tempérance, la justice et la piété. Je ne croyais pas que la foi dût être prévenue en nous par la grâce de Dieu, avant de nous donner le droit d'obtenir ce que nous demandions en vue du salut. J'avouais bien que nous ne pouvons croire qu'autant que la vérité nous est annoncée; mais le consentement que nous donnons à la prédication de l'Evangile, je le regardais comme notre œuvre propre, et dépendant exclusivement de notre propre volonté. Que j'aie partagé cette erreur, c'est ce que prouvent clairement quelques-uns de mes ouvrages composés avant mon épiscopat.
De ce nombre se trouve celui que vous me signalez dans vos lettres3, et dans lequel je commentais certaines propositions de l'épître aux Romains. Plus tard enfin je composai une rétractation de mes ouvrages; déjà même deux de ces livres étaient écrits lorsque je reçus vos volumineux écrits; et arrivé dans le premier livre à l'Exposition de quelques propositions tirées de l'épître de saint Paul aux Romains, voici ce que j'écrivais : « Examinant ce que Dieu a choisi dans l'enfant qui n'était pas encore né, et à qui il a dit que son allié serait son serviteur; examinant aussi ce que Dieu a repoussé dans cet autre enfant qui n'était pas encore né non plus, et qui devait être l'aîné, je remarque que c'est à eux que s'applique la parole prophétique, bien que formulée longtemps après : J'ai aimé Jacob et j'ai haï Esaü4, et je poursuis mon raisonnement . Dieu ne choisit donc pas les oeuvres de chacun par sa prescience des oeuvres qu'il donnera à chacun d'opérer; mais il choisit la foi par sa prescience, en choisissant pour lui donner l'Esprit-Saint, celui qu'il sait devoir croire en lui, afin qu'il obtienne la vie éternelle en faisant le bien. Je n'avais pas alors recherché; avec assez de soin, ni trouvé exactement ce qu'est l'élection de la grâce. L'Apôtre dit à ce sujet : Ceux qui étaient de reste ont été sauvés par l'élection de la grâce5. Elle ne serait pas grâce, s'il y avait des mérites qui la précédassent; sans quoi ce qui serait donné, serait moins donné comme nue grâce, que rendu aux mérites comme une dette. D'où il suit que ce que j'ai dit aussi tôt après. L'Apôtre remarque, en effet, que c'est le même Dieu qui opère tout en tous6, mais il ne dit nulle part : Dieu croit tout en tous; et ce que j'ai ajouté : Si nous croyons, c'est notre oeuvre, mais ce que nous faisons de bien vient de Celui qui donne l'Esprit-Saint aux croyants , je ne l'eusse pas dit, si j'avais su que la foi même fût a comptée au nombre des dons de Dieu, lesquels sont faits par le même Esprit. L'un et l'autre nous appartiennent à cause du libre arbitre de notre volonté ; et cependant l'un a et l'autre nous sont donnés par l'Esprit de foi et de charité. La charité, en effet, n'est pas seule, mais, comme il est écrit : La charité a avec la foi vient de Dieu le Père et de Notre-Seigneur Jésus-Christ7 ».
« Quand j'ai dit peu après : Il nous appartient de croire et de vouloir ; il appartient à Dieu de donner à ceux qui croient et qui a veulent la faculté de faire le bien par le Saint-Esprit, par lequel la charité est répandue dans nos coeurs, j'ai eu raison; mais, a par la même règle, l'un et l'autre appartiennent à Celui qui lui-même prépare la volonté, comme l'un et l'autre nous appartiennent, puisque rien ne se fait sans notre volonté. Lorsque j'ai dit ensuite : Nous ne pouvons vouloir sans que nous soyons appelés; et quand nous avons voulu, par suite de cet appel notre volonté et notre course ne suffisent pas, à moins que Dieu ne fournisse des forces à ceux qui courent et les conduise là où il les appelle ; et aussi quand j'ai ajouté : Il est donc manifeste que le bien a que nous faisons n'est pas l'oeuvre de notre volonté et de notre mouvement, mais de la miséricorde de Dieu8, j'ai été absolument a dans le vrai. Mais je n'ai que très-peu parlé de la vocation elle-même qui a lieu selon le dessein de Dieu ; elle n'est pas telle chez tous les appelés, mais seulement chez les élus. C'est pourquoi ces paroles ajoutées peu après : De même que les élus de Dieu commencent par la foi, non par les oeuvres, à mériter le don de Dieu pour faire le bien, ainsi les damnés commencent par l'infidélité et l'impiété à mériter la peine, cette peine qui est elle-même le principe de leurs mauvaises actions ; ces paroles sont très justes; mais que le mérite de la foi est a lui-même un don de Dieu, je ne l'ai pas a dit, je n'ai pas pensé non plus qu'il le fallait a rechercher.
Ailleurs j'ai dit : Celui dont il a pitié, Dieu le fait bien agir; celui qu'il endurcit9, a il le laisse mal agir. Mais cette miséricorde est accordée au mérite précédent de la foi, et cet endurcissement est dû à l'impiété précédente. Cela est vrai ; mais il fallait, de plus, rechercher si le mérite de la foi vient de la miséricorde de Dieu, c'est-à-dire si cette miséricorde se rencontre dans l'homme seulement parce qu'il est fidèle, ou si elle s'y est rencontrée afin qu'il le fût. Nous avons lu, en effet, ce que dit l'Apôtre : J'ai obtenu miséricorde pour être fidèle10; il ne dit pas : Parce que j'étais fidèle. Au fidèle est donc accordée la miséricorde, mais elle lui fut aussi accordée pour être fidèle; aussi ai-je eu parfaitement le droit d'écrire en un autre endroit du même livre : Si nous sommes appelés à la foi, non par nos oeuvres, mais par la miséricorde de Dieu ; et si par cette même miséricorde il est accordé aux croyants de bien faire, cette miséricorde ne doit pas être refusée aux gentils; cependant je n'ai pas apporté tous les soins nécessaires pour traiter de cette vocation qui a lieu par le dessein de Dieu11 ».
