19.
J'ai ajouté : « Le salut de cette religion n'a jamais manqué à quiconque en a été digne, et n'a manqué qu'à celui qui ne le méritait pas ». Si l'on demande par quel moyen les uns se sont rendus dignes du salut, les Pélagiens répondent : Par leur volonté humaine; mais nous, nous disons : Par la grâce ou la prédestination divine. Entre la grâce et la prédestination il y a cette seule différence, à savoir que la prédestination est la préparation de la grâce, tandis que la grâce est le don même qui en est fait. De là cette parole de saint Paul : « Cela ne vient point de nos oeuvres, afin que nul ne se glorifie ; car nous sommes son ouvrage, étant créés a en Jésus-Christ dans les bonnes oeuvres ». Telle est la grâce; l'Apôtre ajoute immédiatement : « Que Dieu a préparées afin que nous pussions y marcher1 » ; telle est la prédestination, absolument inséparable de la prescience, tandis que la prescience peut exister sans la prédestination. Par la prédestination, Dieu a connu par avance ce qu'il ferait lui-même; de là cette parole : « Il a fait ce qui devait arriver2 ». Au contraire, sa prescience peut tomber sur des choses qu'il ne fait pas, par exemple sur les péchés; il est vrai que Dieu frappe les péchés du châtiment qu'ils méritent, selon cette parole de l'Apôtre . « Dieu les a livrés à leur sens réprouvé, afin qu'ils fassent ce qui ne convient pas3 » ; mais ces péchés, qui sont le châtiment d'autres péchés, ne sont pas l'oeuvre même de Dieu, mais la conséquence du châtiment dont il frappe les coupables dans sa rigoureuse justice. Par conséquent, la prédestination de Dieu, et il ne prédestine jamais qu'au bien, n'est, comme je l'ai dit, rien autre chose que la préparation de la grâce; et, de son côté, la grâce n'est que l'effet de la prédestination. Nous savons que Dieu promit à Abraham dans sa race la foi des nations, en lui disant : « Je vous ai établi le Père d'un grand nombre de peuples » ; ce qui a fait dire à l'Apôtre : « Ainsi, c'est par la foi, afin que nous le soyons par grâce, et que la promesse demeure ferme pour tous ses enfants4 ». Or, cette promesse de Dieu était-elle fondée sur la puissance de notre volonté, et Don pas sur la prédestination ? Dieu promit ce qu'il devait faire, et non pas ce que feraient les hommes. En effet, si les hommes font le bien pour rendre gloire à Dieu; de son côté, c'est Dieu qui fait en sorte que les hommes accomplissent ses commandements, et ce ne sont pas les hommes qui font en sorte que Dieu réalise ses promesses. Autrement , la puissance de réaliser ces promesses divines appartiendrait, non pas à Dieu, mais aux hommes, qui seuls accorderaient à Abraham ce qui lui a été promis par le Seigneur. Ce n'est point là ce que crut Abraham; au contraire, « il crut, rendant gloire à Dieu, étant pleinement persuadé qu'il est tout-puissant pour faire ce qu'il a promis5 ». L'Apôtre ne dit pas de Dieu qu'il est tout-puissant pour prédire, pour savoir par avance, car Dieu peut prédire et prévoir des actions qu'il ne fera pas lui-même; mais « Dieu est tout-puissant pour faire », et non point par les autres, mais par lui-même.
