CHAPITRE XVIII. LA PRESCIENCE ET LA PRÉDESTINATION.
C'est pour cela que cette même prédestination est quelquefois désignée sous le nom de prescience, comme dans ces paroles de l'Apôtre : « Dieu n'a point rejeté son peuple qu'il a connu dans sa prescience ». Ici ces mots; « Qu'il a connu dans sa prescience », ne peuvent pas être interprétés autrement que dans ce sens : « Qu'il a prédestiné » ; le contexte même le prouve d'ailleurs clairement, Saint Paul parlait des restes des Juifs qui furent sauvés, tandis que les autres périrent. Car il avait dit plus haut que le Prophète avait adressé à Israël ces paroles : « J'ai pendant tout le jour tendu les mains à ce peuple incrédule et contredisant » ; et comme s'il eût été répondu à saint Paul : Où sont donc les promesses que Dieu a faites à Israël? il ajoute aussitôt : « Je dis donc : Est-ce que Dieu a rejeté son peuple? Non, certes; car moi-même je suis israélite, de la race d'Abraham, de la tribu de Benjamin » ; comme s'il disait: Car moi aussi je suis de ce peuple même. Il ajoute ensuite ces paroles sur les quelles s'appuie notre argumentation. « Dieu n'a point rejeté son peuple, qu'il a connu dans sa prescience ». Et pour montrer qui ces restes ont survécu par la grâce de Dieu, et non point par le mérite de leurs oeuvres personnelles, il continue en ces termes: « Ne savez-vous pas ce qui est dit d'Elie dans l'Ecriture; comment il demande justice à Dieu contre Israël? » etc. « Mais », ajoute-t-il, « qu'est-ce que Dieu lui répond ? Je me sui réservé sept mille hommes qui n'ont point fléchi le genou devant Baal ». Dieu ne dit point : « Sept mille hommes m'ont été réservés » ; ni : « Sept mille hommes se sont réservés à moi » ; mais il dit: « Je me les suis réservés ». Saint Paul continue : « De même donc, en ce temps aussi, un reste a été sauvé par l'élection de la grâce. Mais si c'est par la grâce, ce n'est donc point par les oeuvres; autrement. la grâce ne serait plus une grâce ». Puis, revenant à ce que j’ai rapporté tout à l'heure : « Qu'est-il dont arrivé? » dit-il, et il répond : « Ce qui cherchait Israël, il ne l'a point trouvé; ceux au contraire qui ont été choisis, l'ont trouvé; les autres ont été aveuglés1 ». Par cette élection donc, et par ces restes dont le salut a été l'effet de l'élection de la grâce, il a voulu faire entendre le peuple que Dieu n'a point rejeté, précisément parce qu'il l'a connu dans sa prescience. C'est là cette élection par laquelle Dieu a choisi ceux qu'il a voulu en Jésus-Christ avant la formation du monde, pour qu'ils fussent saints et sans tache en sa présence, dans la charité, les prédestinant à être adoptés pour ses enfants2. Conséquemment, dès lors que l'on comprend ces paroles, il n'est plus permis de nier ou même de douter que saint Paul voulait parler de la prédestination, quand il disait : « Dieu n'a point rejeté son peuple, qu'il a connu dans sa prescience ». Il a connu, en effet, dans sa prescience les restes qu'il devait se réserver selon l'élection de la grâce. Et voilà précisément en quoi consiste la prédestination : car sans aucun doute il a connu dans sa prescience, s'il a prédestiné ; et avoir prédestiné, ce n'est pas autre chose qu'avoir connu dans sa prescience ce qu'il devait faire lui-même.
