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Mais, disent nos adversaires dans votre lettre, « personne ne pourrait être excité par l'aiguillon de la réprimande, si, en présence d'une multitude assemblée dans une Eglise, on tenait ce langage : Voici par rapport à votre prédestination, les desseins bien arrêtés de la volonté de Dieu : il a voulu que, parmi vous, les uns sortant de l'infidélité vinssent à la foi, après avoir reçu la volonté d'obéir, ou bien il a voulu qu'ils demeurassent dans la foi, après avoir reçu le don de la persévérance ; pour vous, au contraire, qui continuez à vivre dans les délités du péché, si jusqu'à présent vous n'êtes point sortis de là , c'est que la grâce miséricordieuse n'est pas encore venue vous secourir et vous tirer de cet état. Cependant, vous qui peut-être n'êtes pas encore appelés, si Dieu par sa grâce vous a prédestinés pour nous choisir , vous recevrez cette même grâce par laquelle vous voudrez être et vous serez réellement élus : et vous qui peut-être obéissez, si vous êtes prédestinés pour être rejetés, les forces nécessaires pour obéir vous seront retirées, afin que vous cessiez de pratiquer l'obéissance ». Ces paroles ne doivent pas nous faire craindre de confesser que la grâce de Dieu est une grâce véritable; en d'autres termes, qu'elle ne nous est point donnée suivant nos mérites, et que la prédestination des saints n'a point d'autre origine que cette grâce ; pas plus que nous ne craindrions de confesser la prescience de Dieu, lors même que quelqu'un dirait, en parlant au peuple de cette prescience : « Que votre conduite soit bonne, ou qu'elle soit mauvaise aujourd'hui, vous serez plus tard tels que Dieu a prévu que vous seriez; bons, s'il a prévu que vous seriez bons ; méchants, s'il a prévu que vous seriez méchants ». Si plusieurs, après avoir entendu ces paroles, se laissaient aller à une insouciance apathique, et, secouant toute espèce de joug, se livraient sans aucune retenue au dérèglement de leurs passions, faudrait-il pour cette raison regarder comme erroné ce qui aurait été dit de la prescience divine? Est-il vrai que, si Dieu a prévu qu'ils devaient être bons, ils le seront réellement, quelque mauvaise que soit leur conduite actuelle ; et que, si Dieu a prévu au contraire qu'ils seraient méchants, ils le seront réellement, quelque bonne que soit visiblement leur conduite actuelle? Il y a eu dans notre monastère un homme qui, faisant certaines choses qu'il n'aurait pas dû faire, et omettant celles qu'il devait faire, répondait aux frères qui le reprenaient à ce sujet : Quelle que soit ma conduite actuelle, je serai un jour ce que Dieu, dans sa prescience, a prévu que je serais; assurément, il disait vrai, mais cette vérité ne lui faisait pas faire de progrès vers le bien il fit au contraire tant de progrès dans la voie du mal, qu'après avoir abandonné la communauté du monastère, il devint comme un chien qui est retourné à son vomissement : et cependant aujourd'hui encore on ne sait pas avec certitude ce qu'il sera un jour. Faut-il donc, pour des âmes de cette sorte, nier ou taire ce que l'on peut dire avec vérité de la prescience de Dieu; alors surtout que ce silence même ne les empêcherait pas de tomber dans d'autres erreurs ?
