Chapitre XXXVI. DE LA FATALITÉ QUE L'ON FAIT DÉPENDRE DES ASTRES.
Les sages de l'Egypte disent que les astres ont réellement une influence fatale sur nous, mais qu'on peut conjurer cette influence par des prières et par des sacrifices. Car, selon eux, il est un culte des astres, au moyen duquel on les adoucit; il existe aussi des forces supérieures capables d'en modifier l'influence, et c'est pour cela que l'on a institué le culte des Dieux et les sacrifices expiatoires. Mais nous dirons que, leur fatalité n'a rapport qu'aux choses contingentes, et non aux choses nécessaires. Or, le contingent est incertain, et ce qui est incertain est inconnu. Ils détruisent donc toute divination, et particulièrement celle des horoscopes, qu'ils respectent infiniment, qu'ils regardent comme incontestable, et de la plus grande vérité.
S'ils prétendent que l'influence de la position 210 des planètes est évidente, et qu'elle est bien reconnue par les habiles, mais que Dieu s'y oppose quelquefois ; nous répondrons que cela est également absurde. D'abord, parce qu'ils ne font dépendre de nous rien autre chose que la prière que nous adressons aux Dieux, et le culte que noue leur rendons. Ensuite, parce qu'il nous paraît fort singulier que les actions et les volontés de l'homme soient sous l'influence des astres, tandis que la prière seule dépendrait de nous : car, on ne saurait dire pourquoi cela serait ainsi, et en vertu de quelle nécessité.
D'ailleurs, s'il y a quelque art et quelque méthode pour annuler l'influence des planètes, et pour empêcher le cours de la fatalité, nous demanderons si cette méthode est à la portée de tous les hommes, ou si elle appartient à quelques-uns seulement. Car, si elle est à la portée de tous, rien n'empêche que la fatalité ne soit entièrement bouleversée de la sorte, puisque tous connaîtraient les moyens d'en arrêter le cours. Si cette méthode est accessible aux uns, et non aux autres, nous demanderons à qui, et par qui elle sera accordée. Si, en effet, c'est en vertu de la fatalité que quelques-uns seulement peuvent pratiquer le culte divin, on trouvera encore que tout se fait par la fatalité. Mais notre culte et nos prières, qui sont les seules choses dépendantes de nous, bien loin d'être soumis à la fatalité, lui sont, au contraire, supérieurs.
211 Si la cause de tout n'est pas la fatalité, mais une autre chose, ce sera cette chose qui devra être regardée comme la fatalité. Car, toute la force de la fatalité dépend de ce que nous pouvons ou non en arrêter le cours. Elle n'existe pas pour ceux qui le peuvent, et elle existe en entier pour ceux qui ne le peuvent pas. Il se trouvera donc que pour quelques hommes tout se fera fatalement, et que pour d'autres il n'y aura aucune fatalité. Or, il est évident que celui qui règle la fatalité est véritablement la volonté fatale, et que tout se fait fatalement par lui. De plus, qu'il soit une divinité, ou toute autre cause fatale, il agit avec injustice; car il ne distribue pas, d'une manière équitable, la méthode qu'il donne aux hommes pour le culte des dieux. Pourquoi, en effet, celui-ci mérite-t-il mieux que celui-là sa faveur, puisque tous sont également des instruments de la fatalité, que personne ne fait rien de son propre mouvement, et n'a de liberté? Car, dans les choses qui se font ainsi, personne ne peut se montrer bon ou méchant. Ainsi, personne n'est digne ou indigne de faveur : or, celui qui partage inégalement ses faveurs entre ceux qui les méritent également, est injuste.
