11.
Lorsque l'empire des Juifs eut été détruit par Vespasien et Tite, ils se soulevèrent sous Adrien, et s'efforcèrent de rétablir leur cité dans son ancien état, sans penser que le ciel voulait qu'elle fût ruinée pour toujours, qu'ils combattaient les décrets de Dieu même, et qu'il est impossible de triompher quand on fait la guerre à Dieu. Ils attaquèrent donc l'empereur, et le forcèrent de prêter sa main à une destruction cette fois décisive. Adrien les ayant vaincus et assujettis, fit disparaître tous les restes de Jérusalem, et fit placer sur le sol sa statue pour les empêcher de se révolter par la suite. Après quoi, faisant réflexion que cette statue, usée par le temps, pourrait tomber, et voulant, pour ainsi dire, graver sur les Juifs un caractère ineffaçable de leur défaite et de leur opiniâtreté, il donna son nom à ce qui pouvait rester de leur ville. Comme il s'appelait Elien Adrien, il fit appeler Elia l'ancienne Jérusalem; et c'est ainsi qu'elle s'appelle encore de nos jours, du surnom de son vainqueur et de son destructeur.
Vous voyez quelle fut la première entreprise des Juifs opiniâtres ; considérez celle qu'ils formèrent de nouveau sous Constantin. Ce prince, pour les punir,.leur fit couper les oreilles, imprima sur leurs corps le signe de leur rébellion, et les fit conduire partout comme des esclaves rebelles et fugitifs, les faisant remarquer par cette mutilation visible, et apprenant à tous les Juifs répandus dans le monde à ne plus former de pareilles entreprises.
Au reste, ces faits sont déjà anciens, quoiqu'ils soient connus des plus âgés d'entre nous : celui que je vais rapporter est plus nouveau, et ne peut être ignoré même des plus jeunes, puisqu'il est arrivé non sous Adrien et Constantin, mais sous un prince qui existait il n'y a pas vingt ans. Julien, qui a surpassé tous les princes en impiété, voulut entraîner les Juifs dans son parti, et les engager à sacrifier aux idoles; ils lui- représentèrent leur ancienne manière d'honorer le Seigneur, et le culte qui était en usage chez leurs ancêtres; ils avouaient alors malgré eux ce que nous leur démontrons maintenant, qu'il leur était impossible de sacrifier hors de leur ville, que c'était enfreindre les lois que d'offrir des sacrifices dans une terre étrangère : Si vous voulez, lui disaient-ils, nous voir sacrifier, rendez-nous notre ville, relevez le temple et l'autel, montrez-nous le Saint des saints, et nous sacrifierons comme nous avons fait anciennement. Ces hommes opiniâtres et pervers n'avaient pas honte de faire ces demandes à un prince idolâtre, d'inviter des mains sacrilèges à rebâtir le Saint des saints, sans songer qu'ils entreprenaient une chose impossible, sans penser que si t'eût été un homme qui eût renversé le temple, un homme aurait pu le relever, mais que Dieu même ayant détruit leur ville, aucune puissance humaine ne pouvait traverser les volontés divines. Quel mortel, dit le Prophète, pourra changer ce qu'un Dieu saint a ordonné ? quel homme pourra arrêter l'action de son bras puissant? (ls. XIV, 27.) Les hommes ne peuvent pas plus rétablir ce qu'il a une fois détruit pour n'être jamais réparé, que détruire ce qu'il a une fois établi pour demeurer toujours. Mais je suppose, ô Juifs, que le prince vous eût rendu votre temple, et relevé votre autel, comme vous le désiriez en vain, pouvait-il vous donner le feu céleste descendu d'en-haut, sans lequel vos sacrifices auraient été impurs et criminels? Les enfants d'Aaron furent punis de mort pour cela seul qu'ils avaient mis dans leurs encensoirs un feu étranger. (Lévit. X, 2.— Nomb. III, 4.)
Cependant, aveuglés de toute part, ils demandaient au prince, ils le suppliaient d'entreprendre avec eux de rebâtir leur temple. Julien leur fournit de l'argent, fit venir de tous côtés des ouvriers, envoya des hommes en place pour présider aux ouvrages; il mit tout en oeuvre pour les engager peu à peu à sacrifier, espérant que par là il les amènerait aisément au culte des idoles. Cet insensé, ce furieux espérait encore rendre vaine la sentence de Jésus-Christ, qui avait condamné le temple à être renversé sans pouvoir être jamais relevé. Mais Celui qui surprend les sages dans leurs propres artifices (Job, V, 13), montra sur-le-champ, par les effets mêmes, que les décrets de Dieu prévalent sur tout, que ses oracles ont une force que rien ne peut arrêter. On avait mis la main à cette oeuvre criminelle, on avait creusé fort avant le sein de la terre, on commençait à découvrir les fondements, et l'on se disposait à bâtir, lorsqu'un feu souterrain , s'élançant tout à coup , fit périr une grande partie des ouvriers, rejeta fort loin les pierres déjà posées, et fit renoncer à un projet coupable non-seulement ceux qui étaient occupés des ouvrages, mais encore les Juifs qui se trouvaient là en grand nombre, et qui, à ce spectacle, demeurèrent interdits et confondus.
A cette nouvelle, Julien, malgré la fureur impie qui l'animait à cette entreprise, craignit que, s'il voulait poursuivre, il n'attirât le feu du ciel sur sa tête : il fut donc obligé de céder avec toute la nation juive. Transportez-vous à Jérusalem, et vous verrez encore les fondements découverts, sans qu'on puisse en donner d'autre cause que celle que nous venons de rapporter. Nous sommes tous témoins de ce fait, qui est arrivé sous nos yeux il n'y a pas longtemps. Et voyez tout l'éclat de cette victoire : ce prodige ne s'est pas opéré sous les empereurs chrétiens, de peur qu'on ne dise que nous nous sommes opposés aux ouvrages et que c'est nous qui les avons empêchés; c'est lorsque nous étions persécutés nous-mêmes, que nous courions tous des risques pour nos jours, que nous ne jouissions d'aucune liberté, c'est lorsque le paganisme était en crédit, que parmi les fidèles, les uns se cachaient dans leurs maisons, les autres se retiraient dans les déserts et fuyaient la place publique, c'est alors que cet événement a eu lieu, afin qu'il ne reste aux Juifs aucun prétexte pour couvrir leur opiniâtreté.
