LXII. — Sur ces paroles de l'Évangile: « Jésus baptisait plus que Jean, quoique Jésus ne baptisât point, mais ses disciples 1. »
On demande si ceux qui reçurent le baptême dans le temps où le Seigneur baptisa] par ses disciples plus que Jean, recevaient aussi le Saint-Esprit. Car en un autre endroit de l'Évangile il est dit: « L'Esprit n'avait pas encore été donné, parce que Jésus n'était pas encore glorifié 2. » A cela il y aurait une réponse très-facile : c'est que le Seigneur, qui rendait la vie, pouvait permettre qu'aucun d'eux ne mourût avant d'avoir reçu le Saint-Esprit après sa glorification, c'est-à-dire après sa résurrection et son ascension au ciel. Mais aussitôt vient en pensée le souvenir du larron, à qui il fut dit : « En vérité je te le déclare, tu seras aujourd'hui avec moi en paradis, » et qui n'avait cependant pas reçu le baptême 3. Il est vrai que Corneille et ceux des Gentils qui avaient cru comme lui, reçurent le Saint-Esprit, même avant d'être baptisés 4. Cependant je ne vois pas comment le larron aurait pu dire, sans le secours du Saint-Esprit : « Seigneur, souvenez-vous de moi quand vous serez arrivé dans votre royaume 5: » car, suivant l'Apôtre : « Nul ne peut dire Seigneur Jésus que par l'Esprit-Saint 6. » Le Seigneur lui-même a fait voir là résultat de cette foi, en disant : « En vérité je te le déclare: tu seras aujourd'hui avec moi en paradis. » Conséquemment, de même que par l'effet de la bonté ineffable et de la justice de Dieu, maître absolu de toutes choses, ce larron, à raison de sa foi, a été censé recevoir le baptême dans son âme restée libre, puisqu'il ne le pouvait dans son corps crucifié : ainsi l'Esprit-Saint était donné d'une manière invisible avant la glorification du Seigneur, et le fut ensuite plus ostensiblement après la manifestation de là divinité. Et c'est le sens de ces paroles : « L'Esprit n'avait pas encore été donné, » c'est-à-dire n'avait pas encore apparu de manière à forcer tout le monde à le reconnaître. De même le Seigneur n'avait point encore été glorifié devant les hommes, et pourtant sa gloire éternelle n'a jamais cessé d'exister. De même encore son apparition dans la chair a été appelée son avènement; quoiqu'il soit venu où il était déjà : « puisqu'il est venu chez lui, » et qu'il était dans le monde, et que le monde a été fait par lui 7. » Donc comme, par l'avènement du Seigneur, on entend sa manifestation dans la chair, bien qu'avant cette manifestation il eût parlé lui-même par tous les saints prophètes, en qualité de Verbe de Dieu et de Sagesse de Dieu : ainsi par l'arrivée de l'Esprit-Saint, on entend cette manifestation visible aux yeux du corps, qui eut lieu quand il descendit sur les apôtres en forme de langues de feu, et qu'ils commencèrent à parler diverses langues 8. En effet si l'Esprit-Saint n'était pas dans l'homme avant la glorification visible du Seigneur, comment David a-t-il pu dire:, « Ne retirez point de moi votre Esprit-Saint 9 ? » Comment Elisabeth et Zacharie son époux ont-ils été inspirés de l'esprit prophétique? comment Anne et Siméon ont-ils été remplis de ce même Esprit, car il est écrit de tous qu'ils furent remplis de l'Esprit-Saint pour dire ce que nous lisons dans l'Évangile 10 ?
Or, si Dieu opère tantôt en secret, tantôt ostensiblement par quelque créature visible, c'est là l'affaire de sa Providence, qui règle toutes ses actions avec un ordre admirable et en distinguant parfaitement les lieux et les temps, vu que la divinité elle-même n'est contenue nulle part, ne change point de place et ne subit en aucune façon les variations du temps. Et de même que le Seigneur possédait certainement le Saint-Esprit dans la nature humaine qu'il avait revêtue, lorsqu'il vint à Jean pour être baptisé, et que cependant, après son baptême, on vit l'Esprit-Saint descendre sur lui en forme de colombe 11; ainsi faut-il penser que tous les saints ont pu recevoir invisiblement le Saint-Esprit, même avant son arrivée éclatante et visible. On n'en doit pas moins croire que par cette manifestation visible appelée son avènement, l'Esprit-Saint a répandu, d'une manière ineffable et en plus grande abondance, dans tes cours des hommes, la plénitude de ses dons.
