1.
Étudions les dispositions faites dans les deux Testaments, et accommodées avec tant de soin aux exigences des temps et aux divers âges du genre humain ; on comprend assez, ce me semble, ce qui convient à la première époque et ce qui convient à la seconde. En effet sous le sage gouvernement de la Providence qui s'étend à tout, la suite des générations depuis Ad aln jusqu'à la fin des siècles, est réglée comme l'existence d'un seul homme, qui passe par des changements progressifs, de l'enfance à la vieillesse. Aussi quand on médite avec piété les divines leçons, on doit également distinguer différents degrés dans les vertus, jusqu'à ce qu'on soit parvenu au sommet de la perfection humaine ; et si l'on remarque de moindres devoirs imposés aux faibles, et de plus grands aux forts, on ne doit point s'imaginer que le moins est un péché en comparaison du plus, et qu'il est indigne de Dieu de donner aux hommes de tels ordres. Mais il serait trop long de discuter ici sur les degrés des vertus. Qu'il nous suffise, pour la question présente, de dire, en ce qui regarde la fraude, que c'est le (444) sommet, la perfection de la vertu de ne tromper personne, et de se conformer à cette parole : « Que votre langage soit: Oui oui ; non non 1. » Mais ce commandement est fait pour ceux à qui s'adresse la promesse du royaume des cieux, et il y a une grande vertu à accomplir les actes plus importants auxquels est due cette récompense ; car le royaume des cieux souffre violence, et ce sont les violents qui le ravissent 2. Il faut donc chercher par quels degrés on arrive à ce sommet de perfection. Or sur ces degrés se trouvent ceux à qui on promettait encore un royaume terrestre, comme un jouet donné à des enfants, afin qu'obtenant de temps en temps de terrestres jouissances du seul Dieu, le maître de toutes choses, ils en tirassent profit et accroissement spirituel et s'enhardissent aussi à espérer lesbiens célestes. Par conséquent, comme c'est la perfection et une vertu presque divine de ne tromper personne, le plus bas degré du vice est de tromper tout le monde; et quand on cherche à s'élever de cette profondeur du vice à cette hauteur de la vertu, un degré,se présente : c'est de ne tromper ni un ami ni un inconnu, mais de tromper quelquefois un ennemi. De là vient qu'on a fait comme un proverbe de cette parole d'un poète: Ruse ou bien probité, qu'importe entre ennemis 3 ? Mais comme souvent un ennemi peut être trompé injustement, par exemple quand une paix momentanée, c’est-à-dire une trêve, a été conclue et n'est point observée, ou en d'autres cas semblables: on est bien plus irréprochable, bien plus voisin de la perfection, quand, tout disposé qu'on soit à tromper l'ennemi, on ne le trompe cependant que sur l'autorisation de Dieu. En effet Dieu seul sait et beaucoup mieux, beaucoup plus parfaitement que l'homme, quelle punition ou quelle récompense est méritée par chacun.
