LXXIII. — Sur ces paroles: « Être reconnu pour homme par les dehors, habitus 1. »
Ce monde dehors, habitus, peut s'entendre de plusieurs façons: tantôt c'est l'état de l'âme, l'habitude proprement dite, comme l'intelligence d'une science quelconque, confirmée et fortifiée par d'usage; tantôt c'est l'état du corps, dans le sens où-nous disons que l'un a plus d'embonpoint ou de force qu'un autre, ce qu'on appelle proprement état de santé; tantôt c'est l'enveloppe extérieure que nous donnons à nos membres, et dans ce sens nous disons qu'un homme est vêtu, chaussé, armé, et le reste. Dans toutes ces significations, admettant que le mot habitus vienne du verbe avoir, habere, il est évident que cette expression habitus, ne s'entend que d'une chose accidentelle, qu'on peut avoir ou n'avoir pas. En effet l'instruction est accidentelle pour l'âme, comme l'embonpoint et la force pour le corps, les vêtements et les armes pour nos membres: en sorte que l'âme pourrait rester ignorante, si elle était privée d'instruction ; le corps maigre et languissant, à défaut de chyle et de force; et un homme rester nu, sans armes et marcher nu-pieds. Le mot habitus s'applique donc à tout ce quine nous est qu'accidentel.
Il y a cependant une différence : certains de ces accidents, pour devenir habituels, ne sont point transformés par nous, mais nous absorbent en eux, tout en restant entiers et immuables ; telle est la sagesse, par exemple, qui ne subit pas de changement quand elle vient chez l'homme, mais qui change l'homme lui-même, en le rendant sage de fou qu'il était. D'autres, au contraire, changent et sont changés: comme la nourriture, par exemple, qui perd son espèce propre, pour s'assimiler à notre corps, et, d'autre part, le restaure de manière à changer sa maigreur et sa faiblesse en force et en embonpoint. D'autres enfin subissent un changement pour former l'habit, habitum, et reçoivent en quelque sorte une forme de ceux auxquels ils s'appliquent, comme un vêtement, par exemple, qui n'a plus, quand on l'ôte et qu'on le met de côté, la même forme que quand il couvre nos membres. Il prend donc, quand on le revêt, une forme qu'il n'a plus quand on s'en dépouille, bien que, dans les deux cas, nos membres restent dans le même état. Si ce n'était point pousser les choses jusqu'à la subtilité, on pourrait encore désigner une quatrième espèce : celle des accidents qui ne produisent et ne subissent aucun changement, comme par exemple un anneau au doigt. Mais, à y regarder de près, cette quatrième espèce n'existe pas ou est très-rare.
Phil. II. 7. ↩
