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Cette vérité se trouve clairement formulée dans ces paroles du Sauveur : « Purifiez l'intérieur et au-dehors tout sera pur1 ». Dans une autre circonstance, réfutant les ineptes calomnies des Juifs qui reprochaient comme un crime à ses disciples de ne pas laver leurs mains avant le repas, « Ce qui souille l'homme, répond le Sauveur, ce n'est pas ce qui entre dans la bouche, mais ce qui en sort ».Soutenir que dans ce passage il ne s'agit que de la bouche du corps, serait une absurdité. En effet si la manducation ne souille pas, le vomissement souillera-t-il davantage ? « Ce qui souille l'homme, ce n'est pas ce qui entre dans la bouche » ; évidemment ces premières paroles s'appliquent à la bouche proprement dite. Mais n'est-il pas aussi évident que c'est de la bouche du coeur que Jésus-Christ entend parler quand il ajoute : « Ce qui souille « l'homme c'est ce qui sort de sa bouche ? » Tout d'abord l'apôtre saint Pierre n'avait vu en cela qu'une parabole ; il en demande donc l'explication, et voici la réponse. « Vous aussi ne comprendriez-vous pas ? Vous ne comprenez pas que ce qui entre par la bouche, descend dans l'estomac, puis est rejeté dehors ? » Il est évident que c'est par la bouche qu'entre la nourriture: mais il ne l'est pas moins que les paroles suivantes désignent la bouche du cœur ; et c'est pour vaincre sur ce point la lenteur de notre esprit que la souveraine Vérité a daigné ajouter : « C'est du cœur que sort ce que la bouche exprime »; en d'autres termes : Ce que l'on vous dit de la bouche, c'est du cœur que vous devez l'entendre. Pour moi, j'envisage ces deux choses à la fois, mais l'une me sert à expliquer l'autre. L'homme intérieur a une bouche intérieure et pour la discerner il faut l'oreille intérieure. Ce qui sort de cette bouche, sort du cœur et c'est là ce qui souille l'homme. Enfin, mettant de côté ce nom de bouche, qui peut aussi s'entendre de la bouche du corps, le Sauveur manifeste encore plus clairement sa pensée en ces termes : « C'est du cœur que sortent les « pensées mauvaises, les homicides, les adultères, les fornications, les vols, les faux témoignages, les blasphèmes, et c'est là tout autant de souillures pour l'homme2».
Il n'est aucun de ces crimes qui ne soit formé par la pensée avant d'arriver à sa perpétration extérieure par les membres du corps; et la pensée seule suffit pour souiller l'homme, quand même, en vertu d'un obstacle, les membres y resteraient étrangers. Si c'est parce que le pouvoir lui manque que la main ne se plonge pas dans le sang humain, le cœur en sera-t-il moins coupable d'homicide?Et parce que l'on ne peut, comme on le voudrait, s'emparer du bien d'autrui, le vol en est-il moins dans la volonté ? Et si la femme que l'impudique convoite, s'obstine à rester chaste, l'a-t-il moins souillée dans son propre cœur ? Si aucune prostituée ne se trouve dans le lieu de débauche, celui qui la cherche en a-t-il moins commis la fornication intérieure ? Si voulant blesser le prochain par le mensonge, le temps ou l'occasion vous manque, le faux témoignage en est-il moins prononcé sur les lèvres de votre cœur ? Ou bien, si c'est par crainte des hommes que la langue n'ose articuler le blasphème, regarderez-vous comme innocent de ce crime celui qui a dit dans son cœur « Dieu n'existe pas3 ? » On peut en dire autant de tous les autres péchés des hommes. Le corps peut ne faire aucun mouvement, les sens peuvent tout ignorer, mais les crimes, quoique cachés, n'en sont pas moins réels ; ce qui souille, c'est le consentement de la volonté, c'est-à-dire la parole criminelle de la bouche intérieure.
David donc craint que son cœur ne s'incline au mal, et il demande à Dieu de placer la continence autour de son coeur, d'y étouffer toute parole coupable, et si la pensée y bouillonne, d'en exclure toujours le consentement de la volonté. De cette manière, selon le précepte de l'Apôtre, le péché né régnera jamais dans notre corps mortel, et nos membres ne deviendront jamais des armes pour l'iniquité4. Qu'ils sont donc loin d'accomplir ce précepte ceux qui n'enchaînent leurs sens en face du péché, que parce qu'ils se trouvent dans l'impossibilité d'agir ! Donnez-leur ce pouvoir et aussitôt leurs membres, devenus des armes criminelles, manifesteront abondamment les sentiments qui règnent dans leur coeur. Autant donc qu'ils le peuvent, ils font de leurs membres des armes d'iniquité et s'ils n'accomplissent pas ce qu'ils veulent, c'est qu'ils ne le peuvent.
