2.
Tout d'abord votre nom apposé sur vos livres a ému ma sollicitude à votre égard. A ceux qui pouvaient vous connaître, quand j'étais assez heureux pour en rencontrer, je m'empressais de demander quel était ce Vincent Victor. J'ai appris que vous aviez été donatiste, ou plutôt rogatiste, et que depuis peu vous étiez entré dans l'Eglise catholique. Outre la joie que nous éprouvons toujours quand une victime de l'erreur ouvre les yeux à la vérité, mon bonheur grandissait encore en voyant que vos talents dont je savourais les preuves dans vos écrits n'étaient point restés au service des partisans de l'erreur. Cependant, parmi les renseignements que j'ai recueillis, ma joie s'est quelque peu attristée en apprenant que vous avez pris le surnom de Vincent, parce que vous tenez à grande estime le successeur de Rogatus qui porte ce nom. N'a-t-on pas dit également que vous vous étiez flatté d'avoir joui de son apparition je ne sais dans quelle vision, qu'il vous aurait été d'un puissant secours pour la composition des livres sur lesquels je viens discuter avec vous, et qu'il vous dictait lui-même les idées et les preuves que vous avez formulées? Si ce fait est vrai, je ne m'étonne plus que vous ayez pu écrire dans ce sens; mais si vous voulez prêter quelque attention à ma réponse et étudier mes livres au point de vue catholique, je ne doute pas que vous ne regrettiez promptement cette parole imprudente. En effet, celui qui « se transfigure en ange de lumière1 », comme parle l'Apôtre, n'est-ce pas lui, c'est-à-dire le démon, qui s'est transfiguré devant vous en celui que vous regardez comme ayant été, ou étant encore un ange de lumière? Ne sait-il pas que, pour mieux tromper les catholiques, ce n'est pas sous la forme d'hérétiques qu'il doit se transfigurer, mais en ange de lumière? Et cependant même alors, je ne voudrais pas qu'il trompât en vous un catholique. Qu'il souffre de vous voir en possession de la vérité, qu'il souffre en proportion de la joie qu'il aurait éprouvée en vous persuadant l'erreur. Pour échapper à la tentation d'aimer un homme mort dont l'affection ne peut que vous nuire sans lui être d'aucun secours, veuillez remarquer que , en secouant les chaînes des hérétiques donatistes ou rogatistes, vous avez affirmé qu'il n'est ni saint ni juste; si vous croyiez à sa justice et à sa sainteté, vous n'auriez fait qu'assurer votre perte en entrant dans la communion catholique. En effet , votre catholicisme n'est qu'une feinte si vous partagez aujourd'hui les opinions de celui que vous aimez. Or, vous connaissez cette terrible parole : «L'Esprit-Saint a en horreur la feinte et le mensonge dans la doctrine2 ». Mais si votre union au catholicisme n'est pas une feinte , pourquoi donc aimer un hérétique après sa mort, jusqu'au point de vouloir vous enorgueillir de porter le nom de celui dont vous ne partagez pas les erreurs ? Nous ne voulons pas que vous portiez ce surnom qui ferait de vous comme une sorte de monument en l'honneur d'un hérétique décédé. Nous ne voulons pas que votre livre ait pour titre un nom dont nous proclamerions la fausseté si nous le lisions sur son tombeau. Ne savons-nous pas que ce Vincent n'a pas été vainqueur mais vaincu? et plût à Dieu que sa défaite lui eût été aussi avantageuse que la vôtre l'a été pour vous, grâce à la puissance de la vérité. En signant du nom de Vincent Victor les livres que vous croyez n'avoir écrits que sons son inspiration, vous jouez la ruse et la fourberie, puisque le Vincent que vous couronnez du titre de Victor ou vainqueur, ce n'est pas vous, mais celui qui aurait vaincu l'erreur en vous révélant ce que vous deviez écrire. O mon fils, pourquoi cette iniquité? Soyez sincèrement catholique et renoncez- à toute dissimulation, dans la crainte que l'Esprit-Saint ne vous abandonne, quand d'ailleurs vous n'avez aucun secours à attendre de ce Vincent dont le malin esprit a revêtu la forme pour mieux vous tromper et vous séduire. En effet, n'est-il pas l'auteur de ces doctrines que vous n'émettez qu'en acceptant aveuglément sa parole? Si donc, justement docile aux avertissements qui vous sont prodigués, vous rétractez ces opinions avec une pieuse humilité et un entier dévouement à la paix catholique, nous n'y verrons plus que les erreurs d'un jeune homme aussi ardent que studieux, et préférant corriger ses illusions plutôt que de les entretenir témérairement. Si, ce qu'à Dieu ne plaise, il avait soufflé dans votre esprit l'obstination de la chicane, il ne resterait plus a la vigilance pastorale et médicinale qu'à condamner ces dogmes hérétiques et leur auteur, avant de leur permettre de porter le ravage et la désolation dans l'âme et l'esprit du peuple; et c'est ce qui arriverait infailliblement si la salutaire rigueur de la discipline le cédait à une funeste complaisance qui n'a de l'amitié que le nom.
