12.
« Mais, dira-t-on, l'homme abandonne Dieu par sa propre volonté, pour être justement abandonné de Dieu ». Qui est-ce qui le nie? Nous demandons au contraire de n'être pas induits en tentation, précisément afin que cela n'arrive pas. Et si nous sommes exaucés, en réalité cela n'arrive pas, par la raison que Dieu rie le permet pas. Car rien ne se fait sans que Dieu le fasse ou sans qu'il permette qu'on le fasse. Ainsi il ale pouvoir de détourner les volontés du mal pour les porter vers le bien, de redresser celles qui déjà s'inclinent pour tomber, et de les diriger dans la voie qu'il lui plaît. Ce n'est pas en vain qu'on lui dit : « O Dieu ! vous nous convertirez pour nous rendre la vie1 »; ce n'est pas en vain qu'on lui dit : « Ne faites point chanceler mes pieds2 »; et encore : « Seigneur, ne me livrez pas au pécheur suivant mes désirs3 »; enfin, pour ne pas multiplier les citations, quand peut-être une foule de textes se présentent à votre esprit, ce n'est pas en vain qu'on lui dit : « Ne nous induisez pas en tentation ». En effet, quand on n'est pas induit en tentation, on n'est par là même induit en aucune tentation venant de la mauvaise volonté propre; et celui qui n'est induit en aucune tentation venant de sa mauvaise volonté propre, n'est induit en aucune tentation absolument. Car, ainsi qu'il est écrit, « chacun est tenté par sa propre concupiscence, qui l'entraîne et le séduit; Dieu, au contraire, ne tente personne4 », au moins d'une tentation nuisible. La tentation, en effet, devient véritablement utile, quand, au lieu de nous aveugler et de nous vaincre, elle sert à nous éprouver, suivant cette parole : « Eprouvez-moi, Seigneur, et tentez-moi5 ». Conséquemment, par rapport à cette tentation nuisible que l'Apôtre dépeint d'un seul trait: « De peur que celui qui tente ne vous eût peut-être tentés, et que notre travail ne fût inutile6 » ; Dieu, comme je l'ai dit, n'emploie jamais ce genre de tentation; en d'autres termes, il n'induit ou ne fait entrer personne dans la tentation. Car être tenté, mais sans entrer dans la tentation, ce n'est pas un mal, c'est au contraire un bien, puisque c'est en cela que consiste l'épreuve. Aussi, quand nous disons à Dieu : « Ne nous induisez prit en tentation », nous ne disons pas autre; chose que ceci : Ne permettez pas que nous soyons induits. C'est pour cela que beaucoup, de fidèles récitent ainsi cette prière: « Ne souffrez pas que nous soyons induits en tentation » ; on trouve aussi ces paroles dans un grand nombre de textes, et le bienheureux Cyprien les a écrites dans ses livres. Cependant j'ai trouvé constamment dans l'Evangile grec ces mots seuls : « Ne nous induisez pas, en tentation ». Nous vivons donc dans une sécurité plus parfaite, quand nous donnons tout à Dieu, au lieu d'appuyer notre confiance en partie sur lui et en partie sur nous-mêmes. Ce vénérable martyr l'avait bien compris. Car, expliquant ces mêmes paroles de l'oraison, il dit après plusieurs autres réflexions: « Quand nous demandons dans nos prières de ne pas entrer dans la tentation, nous sommes avertis de notre faiblesse et de notre impuissance. Alors, en effet, l'objet de notre prière est que personne ne s'élève démesurément, que personne ne s'attribue quelque chose à soi-même, par orgueil ou par présomption; que personne ne regarde comme sienne la gloire, soit d'une confession qu'il a faite, soit des souffrances qu'il a endurées. Car le Seigneur lui-même a dit pour nous enseigner l'humilité : Veillez et priez, de peur que vous n'entriez en tentation : à la vérité, l'esprit est prompt, mais la chair est faible7. Quand nous aurons ainsi fait une confession pleine d'humilité et de soumission, quand nous aurons donné tout à Dieu, tout ce que nous demanderons d'une voix suppliante et avec la crainte de Dieu, nous sera accordé par la divine miséricorde ».
