A ANTOINE, SOLITAIRE. VIFS REPROCHES SON SILENCE.
Lettre écrite du désert, en 373.
Le Fils de Dieu, venu sur la terre pour enseigner l'humilité aux hommes, voyant ses disciples se disputer entre eux à qui aurait le premier rang, leur dit, en prenant un petit enfant par la main : « Si vous ne vous convertissez et si vous ne devenez semblables à ce petit enfant, vous n'entrerez point dans le royaume du ciel.» Et de peur qu'on ne s'imaginât qu'il n'avait point souci de ce qu'il enseignait aux autres, il a pratiqué lui-même l'humilité en lavant les pieds à ses apôtres, donnant un baiser au perfide Judas, s'entretenant avec la Samaritaine, parlant du royaume du ciel pendant que Madeleine était assise auprès de lui, et ne voulant que de simples femmes pour premiers témoins de sa résurrection. N'est-ce point l'orgueil, au contraire, qui a précipité le premier des anges du haut de sa gloire dans l'abîme? :Le peuple juif, qui voulait« être salué sur les places publiques et tenir le premier rang dans les synagogues, » n'a-t-il pas été exterminé? et tous les avantages qu'il possédait ne sont-ils pas devenus la propriété des Gentils qui auparavant « n'étaient devant Dieu que comme une goutte d'eau? » Pour confondre les philosophes du siècle et les sages du monde, suivant l'Écriture : « Dieu résiste aux superbes, et donne sa grâce aux humbles. » Quels hommes choisit le Seigneur ? de pauvres pêcheurs, saint Pierre et saint Jacques.
Considérez, pion frère, combien doit être énorme un vice dont Dieu se déclare l'ennemi, et qui le porte, dans l'Évangile, à dédaigner le pharisien orgueilleux, et à écouter favorablement l'humble publicain. Je vous ai déjà écrit au moins dix lettres, si je ne me trompe, pour vous assurer de mon estime et de mon amitié, et vous n'avez pas encore daigné me répondre un seul mot. Vous refusez de parler à votre frère; et cependant le Seigneur ne daigne-t-il pas s'entretenir avec ses serviteurs? Mais c'est me faire injure, direz-vous, que de me parler de la sorte. Si je ne craignais dans mon ressentiment de passer les bornes, attendu que je suis indigné de votre procédé à mon égard, je vous accablerais de tant de reproches, que vous m'écririez vite, ne fût-ce que par un mouvement de colère et d'indignation. Mais comme l'homme naturellement s'emporte et que le devoir du chrétien est de réprimer ces emportements, je consens à être encore aujourd'hui indulgent envers vous comme par le passé. Donnez-moi de vos nouvelles, et aimez-moi autant que je vous aime. Adieu.
