XXI.
Il ne nous reste plus qu'une question, qui est une des plus importantes. C'est que quelqu'un : dira que Dieu est si éloigné de se mettre en colère, qu'il défend même à l'homme de s'y mettre. Je pourrais dire qu'il y a eu sujet de modérer la colère de l'homme, parce qu'elle est souvent injuste, et que ses mouvements sont aussi déréglés que fréquents. Pour détourner les funestes malheurs que causent les petits, les médiocres et les grands, quand, ne se possédant plus, ils suivent tes emportements de cette furieuse passion, il a fallu nécessairement leur mettre des bornes. Mais pour ce qui est de Dieu, il ne se fâche point pour un temps, parce qu'il est éternel, et ne se fâche point sans sujet, parce qu'il a une perfection infinie. Cependant il n'est pas vrai que Dieu défende aux hommes de se mettre en colère; et s'il le leur défendait absolument, il semblerait condamner lui-même son propre ouvrage, puisque en formant le foie, il a, en quelque sorte, autorisé cette émotion, dont on croit que le principe est contenu dans le fiel. Il n'a donc pas absolument défendu le mouvement de la colère, qui est un mouvement nécessaire, mais il en a défendu la continuation et la suite. Aussi est-il bien juste que, puisque la vie des hommes est courte, leur colère ne soit pas longue. Si elle l'était, les haines s'accroîtraient et s'aigriraient de telle sorte, qu'elles ne pourraient plus être terminées que par la ruine mutuelle des ennemis. De plus, quand Dieu commande d'entrer en colère, et qu'au même temps, il défend de commettre aucun péché, il n'arrache pas entièrement cette passion de notre cœur. Il en rehausse seulement ce qu'elle a de vicieux, afin qu'en châtiant les coupables, elle garde de la modération. Ainsi celui qui nous commande de nous mettre en colère s'y met lui-même. Celui qui nous ordonne de nous apaiser s'apaise, parce qu'il ne nous commande ni ne nous ordonne rien qui ne soit juste et qui ne tende à notre avantage. Bien que j'aie dit que Dieu ne se met pas en colère pour un temps, comme font les hommes qui ont souvent des émotions passagères, il ne faut pas croire pour cela que, comme il est éternel, sa colère le soit aussi. Ses perfections étant infinies, il a sa colère en sa puissance, et bien loin d'en être emporté, il la retient et s'en sert comme il lui plait. Et cela n'est point du tout contraire à ce que j'ai dit ci-dessus. Si la colère de Dieu avait été éternelle, l'homme n'aurait pu rentrer en grâce avec lui après l'avoir offensé, ni satisfaire à sa justice par la pénitence. Ainsi il ne se serait jamais réconcilié avec les hommes, lui qui leur a commandé de se réconcilier entre eux avant le coucher du soleil. Il est pourtant vrai que la colère de Dieu demeure toujours sur ceux qui pèchent toujours. Il ne s'apaise point par de l'encens, par des victimes, par des présents, qui ne sont que des biens corruptibles ; mais il s'apaise par le changement de vie et par la réformation des mœurs : quiconque cesse de pécher fait cesser la colère de Dieu. Et c'est pour cela qu'il ne punit pas tous les pécheurs sur-le-champ, afin qu'ils aient le temps de se reconnaître.
