XI.
Après avoir établi la vérité de la Providence, ce que nous avons maintenant à examiner, est si elle appartient à un seul ou à plusieurs. Je crois avoir fait voir très clairement dans mes Institutions, qu'il ne peut y avoir plusieurs dieux, parce que le pouvoir, qui serait partagé et comme divisé entre eux, serait affaibli et ruiné par ce partage. Que s'il ne peut être ruiné et affaibli, il ne peut être partagé. Il n'y a donc qu'un seul Dieu, qui a une puissance parfaite et incapable de recevoir ni diminution, ni accroissement. S'il y avait plusieurs dieux, ils partageraient entre eux la souveraine puissance; et, chacun gardant sa part, aucun ne la posséderait tout entière. Il est donc impossible qu'il y ait plusieurs gouverneurs dans l'univers, plusieurs maîtres dans une famille, plusieurs pilotes dans un navire, plusieurs conducteurs dans un troupeau, plusieurs rois dans un essaim d'abeilles, plusieurs soleils dans le ciel, plusieurs âmes dans un corps, tant il est vrai que toute la nature doit conserver l'unité en chaque ordre. Que s'il n'y a, comme dit le poète, qu'un esprit répandu dans le vaste corps de l'univers, et si cet esprit imprime seul le mouvement à toutes ses parties, il n'y a, selon ce témoignage, qu'un Dieu qui gouverne le monde, comme il n'y a qu'une âme qui anime le corps. La puissance divine est donc renfermée tout entière dans un seul, qui gouverne tout l'univers par le moindre signe de sa volonté, et dont la grandeur ne peut être ni conçue par notre esprit, ni exprimée par nos discours. D'où est donc née la fausse opinion dont les hommes ont été prévenus qu'il y a plusieurs dieux ? Ceux qui sont maintenant adorés comme des dieux ont été des hommes. Ils étaient autrefois de puissants rois, et leur mémoire a été honorée après leur mort, et leur nom a reçu un culte religieux, en reconnaissance, ou des avantages qu'ils avaient procurés à leurs peuples, ou des arts qu'ils avaient inventés pour le bien de la société civile. Il y a eu non seulement des hommes, mais aussi des femmes, qui ont reçu cet honneur, comme les plus anciens écrivains de la Grèce, que l'on appelle théologiens, et comme les Romains, qui sont venus depuis eux et qui les ont imités, en demeurent d'accord. Les principaux sont Evhémère et Ennius, qui ont décrit leur naissance, leur mariage, leur postérité, leur règne, leur vie, leur mort, et qui ont parlé des statues que l'on a érigées en leur honneur. Cicéron, qui est venu depuis eux, a renversé, dans le troisième livre de la Nature des dieux, toutes les religions qui étaient reçues de son temps; mais il n'a pu établir la véritable, dont il n'avait point de connaissance, et nul autre ne l'a pu faire non plus que lui. Aussi a-t-il témoigné qu'il découvrait bien la fausseté du paganisme, mais qu'il ne pouvait découvrir la vérité. « Je voudrais bien, dit-il, qu'il me fut aussi aisé d'embrasser la vérité qu'il m'est aisé de rejeter le mensonge. » Ce n'est point par artifice qu'il a parlé de la sorte, ni comme un académicien qui voulait dissimuler ce qu'il avait dans l'esprit. Il a parlé sincèrement et selon sa pensée; et parce que la vérité ne peut être, en effet, découverte par la force de l'esprit humain, il a fait ce qui se peut faire, qui est de réfuter la fausseté. Il est aisé de renverser tout ce qui est inventé à plaisir et avancé sans fondement. Il faut donc avouer que Dieu est l'unique principe et l'unique auteur de toutes choses, comme Platon l'a reconnu dans son Timée; et sa majesté est si grande qu'elle ne peut être ni comprise par l'esprit, ni exprimée par le discours. Hermès, qui, selon que Cicéron le rapporte, a été mis par les Égyptiens, au nombre des dieux, qui a mérité, par sa doctrine et par sa vertu, d'être surnommé Trismégiste, c'est-à-dire trois fois grand, et qui est plus ancien non seulement que Platon, mais aussi que Pythagore et que les sept sages demeure d'accord de la même chose, Socrate dit, dans Xénophon, qu'il ne faut point chercher quelle est la figure de Dieu. Platon dit, dans les livres des lois, qu'il ne faut en aucune sorte se mettre en peine de savoir ce que c'est que Dieu, parce que l'on ne peut le découvrir ni l'exprimer. Pythagore reconnaît qu'il n'y a qu'un dieu, qui étant un pur esprit, se répand dans toutes las parties de la nature, et communique aux animaux le sentiment. Antisthène, dans le livre qu'il a fait de la Nature, dit qu'il n'y a qu'un dieu, bien que les villes et les nations aient des dieux particuliers. Aristote, avec les péripatéticiens qui l'ont suivi, et Zénon, avec les stoïciens ses disciples, disent à peu près la même chose. Je serais trop long si je voulais faire le dénombrement des opinions des autres philosophes qui, bien qu'ils n'aient pas tous tenu le même langage, se sont pourtant tous accordés là, en ce qu'ils ont reconnu une souveraine puissance qui prend le soin du gouvernement de l'univers. Cependant, quoique les philosophes, les poètes, et ceux mêmes qui adorent les idoles, reconnaissent souvent qu'il n'y a qu'un Dieu, aucun d'eux n'a jamais pensé au culte qu'ils devaient lui rendre ; ce qui a sans doute procédé de la créance où ils étaient qu'il est bienfaisant, qu'il n'entre en colère contre personne, et qu'il n'a besoin de rien. Tant il est vrai qu'il ne peut y avoir de religion au il n'y a point de crainte !
