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Il y avait une femme juive, nommée Anne. Or, Aune eut un enfant lorsqu’elle ne s’attendait plus à éprouver ce bonheur; encore ne l’eut-elle qu’avec beaucoup de souffrances et de larmes : car elle était stérile; souvent sa rivale lui avait injurieusement reproché sa stérilité; néanmoins elle fut moins faible pour cet enfant de larmes et de prières, que vous ne l’êtes pour les vôtres. Elle le garda seulement près d’elle le temps qu’il fallut pour le nourrir de sou lait. Et dès qu’il n’eut plus besoin de cette nourriture, elle le prit et l’offrit à Dieu, l’invitant à ne plus revenir à la maison paternelle; et il habitait continuellement dans le temple du Seigneur. Quand sa tendresse maternelle lui inspirait le désir de le voir, elle ne le faisait pas venir près d’elle, mais elle montait elle-même avec son père vers lui; le reste du temps, elle se privait de sa présence, parce qu’elle l’avait offert à Dieu. Et ce jeune homme devint si illustre et si grand par sa vertu, qu’il attira de nouveau, sur les Hébreux , les faveurs de Dieu , qui s’était détourné de ce peuple à cause de sa perversité. Dieu ne rendait plus d’oracles et ne montrait plus sa face dans Israël; mais le jeune Samuel obtint du Seigneur les mêmes faveurs qu’auparavant, et l’on vit renaître les prophéties qui avaient disparu. Le fils d’Anne gagna ces grâces avant même qu’il fût parvenu à l’adolescence, et lorsqu’il n’était encore que petit enfant. Car, dit l’Ecriture, il n’y avait plus de vision certaine, mais la parole de Dieu était rare et précieuse. (I Rois. III, 1.) Dans cette conjoncture, Dieu révélait continuellement ses oracles au petit Samuel. Tant il y a d’avantage à lui sacrifier ses biens, et à se dessaisir en sa faveur de ses trésors et de ses biens, et même de ses enfants! Certes si nous sommes obligés de lui donner notre propre vie, à plus forte raison tout le reste de ce qui nous appartient. C’est ce que fit également le patriarche Abraham. Il fit même davantage encore, et c’est pour cela qu’il recouvra son fils en acquérant en outre une grande gloire. Nos enfants nous appartiennent surtout lorsque nous les avons offerts au souverain Maître. Ils seront mieux sous sa tutelle que sous la nôtre, car il est plus soigneux de leurs intérêts que nous-mêmes. Ne voyez-vous pas aussi la même chose dans les palais des riches? En effet, les enfants de basse condition qui demeurent avec leurs parents sont loin d’avoir une position aussi brillante , aussi avantageuse, que ceux que des maîtres opulents ont tirés de leurs familles pour les préposer à quelque service ou intendance; c’est à ces derniers qu’appartiennent les faveurs, le crédit, ils sont autant au-dessus des autres serviteurs que les maîtres au-dessus de leurs intendants.
Si les hommes sont bons et bienveillants à ce point pour ceux qui les servent, combien plus Dieu, qui est la bonté infinie.
Laissons donc nos enfants le servir; menons-les , non pas au temple , comme Samuel, mais conduisons-les au ciel même avec les anges et les archanges; car il est évident pour tous que ceux qui auront embrassé la vie ascétique serviront Dieu et formeront sa cour avec ces puissances supérieures, et c’est dans ces fonctions élevées qu’ils travailleront pour leur gloire et pour la vôtre avec la confiance et le crédit que leur donnera la sainteté de leur état. Si quelques enfants ont obtenu des grâces à cause de leurs parents, à plus forte raison les parents en recevront-ils à cause de leurs enfants. Eu effet des pères aux enfants il n’y a que le droit de la nature, des enfants aux pères il y a encore celui de l’éducation, qui l’emporte de beaucoup sur le premier : deux vérités que je vais prouver par les saintes Ecritures.
Ezéchias était un prince qui avait de la vertu et de la piété. Cependant il ne faisait point assez de fond sur ses bonnes actions pour croire qu’il serait préservé du péril dont il était menacé, en considération de ses propres mérites. Dieu lui promit de le sauver à cause de la vertu de son père: J’étendrai, dit-il, mon bouclier sur cette ville, pour la sauver à cause de moi et à cause de David mon serviteur. (IV Rois. XIX, 34.) Et saint Paul écrivant à Timothée, lui dit des pères qu’ils seront sauvés par leurs enfants, pourvu qu’ils persévèrent avec sagesse dans la foi, dans la charité et la sainteté. (I Tim. II, 15.) La sainte Ecriture en louant Job pour ses autres qualités, par exemple parce qu’il était juste et véridique et craignant Dieu, n’a pas oublié de le louer aussi spécialement du soin qu’il prenait de ses enfants. Ce soin ne consistait pas à leur amasser de l’or, à les rendre illustres et brillants de la gloire du monde. Ecoutez ce qu’en dit la sainte Ecriture: Quand les jours de leur festin étaient écoulés, Job envoyait pour les purifier, et se levant dès le matin, il offrait pour eux un sacrifice selon leur nombre, et pour leur âme, un veau destiné à laver leur péché: car Job se disait dans son cœur : si par hasard mes enfants avaient pensé le mal dans leur coeur contre Dieu... (Job, I, 5.)
Nous restera-t-il quelque moyen de nous justifier, si nous commettons les mêmes fautes? Si Job, qui vécut avant la Grâce, même avant la Loi, qui était privé du secours des saintes Ecritures, avait pour ses enfants tant de prévoyance, et tremblait même pour des fautes incertaines, quelle sera notre excuse à nous qui vivons sous la loi de Grâce, qui avons eu tant de maîtres, reçu tant d’exemples et tant de conseils, et qui, loin de trembler pour des fautes incertaines, négligeons même les péchés manifestes, que dis-je , nous qui persécutons ceux qui voudraient les redresser? Je ne répète point ainsi ce que j’ai déjà dit d’Abraham qui dut sa gloire au sacrifice de son enfant non moins qu’à ses autres grandes actions.
