CHAPITRE XL.
COMMENT ON DOIT ENTENDRE QUE JACOB ENTRA, LUI SOIXANTE-QUINZIÈME, EN ÉGYPTE.
L’Ecriture dit1 que soixante-quinze personnes entrèrent en Egypte avec Jacob, en l’y comprenant avec ses enfants; et dans ce nombre elle ne fait mention que de deux femmes, l’une fille, et l’autre petite-fille de ce patriarche. Mais à considérer la chose exactement, elle ne veut point dire que la maison de Jacob fût si grande le jour ni l’année qu’il y entra, puisqu’elle compte parmi ceux qui y entrèrent des arrière-petits-fils de Joseph, qui ne pouvaient pas être encore au monde. Jacob avait alors cent trente ans, et son fils Joseph trente-neuf. Or, il est certain que Joseph n’avait que trente ans, ou un peu plus, quand il se maria. Comment donc aurait-il pu en l’espace de neuf ans avoir des arrière-petits-fils? Quand Jacob entra en Egypte, Ephraïm et Manassé, enfants de Joseph, n’avaient pas encore neuf ans. Or, dans le dénombrement que l’Ecriture fait de ceux qui y entrèrent avec lui, elle parle de Machir, fils de Manassé et petit-fils de Joseph, et de Galaad, fils de Machir, c’est-à-dire arrière-petit-fils de Joseph. Elle parle aussi de Utalaam, fils d’Ephraïm, et de Edem, fils de Utalaam, c’est-à-dire d’un autre petit-fils et arrière-petit-fils de ce patriarche ‘. L’Ecriture donc, par l’entrée de Jacob en Egypte, n’entend pas parler du jour ni de l’année qu’il y entra, mais de tout le temps que vécut Joseph qui fut cause de cette entrée. Voici comment elle parle de Joseph : « Joseph demeura en Egypte avec ses frères et toute la maison de son père, et il vécut cent dix ans, et il vit les enfants d’Ephraïm jusqu’à la troisième génération2 », c’est-à-dire Edem , son arrière-petit-fils du côté d’Ephraïm. C’est là, en effet, ce que l’Ecriture appelle troisième génération. Puis elle ajoute: « Et les enfants de Machir, fils de Manassé, naquirent sur les genoux de Joseph », c’est-à-dire Galaad, son arrière-petit-fils du côté de Manassé, dont l’Ecriture, suivant son usage, qui est aussi celui de la langue latine3, parle comme s’il y en avait plusieurs, ainsi que de la fille unique de Jacob, qu’elle appelle les filles de Jacob. Il ne faut donc pas s’imaginer que ces enfants de Joseph fussent nés quand Jacob entra en Egypte, puisque l’Ecriture, pour relever la félicité de Joseph, dit qu’il les vit naître avant que de mourir; mais ce qui trompe ceux qui n’y regardent pas de si près, c’est que l’Ecriture dit : « Voici les noms des « enfants d’Israël qui entrèrent en Egypte « avec Jacob, leur père4 ». Elle ne parle donc de la sorte que parce qu’elle compte aussi toute la famille de Joseph, et qu’elle prend cette entrée pour toute la vie de ce patriarche, parce que c’est lui qui en fut cause.
