CHAPITRE XXXII.
OBÉISSANCE ET FOI D’ABRAHAM ÉPROUVÉES PAR LE SACRIFICE DE SON FILS; MORT DE SARRA.
Cependant Dieu tenta Abraham1 en lui commandant de lui sacrifier son cher fils Isaac, afin d’éprouver son obéissance et de la faire connaître à toute la postérité. Car il ne faut pas répudier toute tentation, mais au contraire on doit se réjouir de celle qui sert d’épreuve à la vertu2. En effet, l’homme, le plus souvent, ne se connaît pas lui-même sans ces sortes d’épreuves ; mais s’il reconnaît en elles la main puissante de Dieu qui l’assiste, c’est alors qu’il est véritablement pieux, et qu’au lieu de s’enfler d’une vaine gloire, il’ est solidement affermi dans la vertu par, la grâce. Abraham savait fort bien que Dieu ne se plaît point à des victimes humaines; mais quand il commande, il est question d’obéir et non de raisonner. Abraham crut donc que Dieu était assez puissant pour ressusciter son fils, et on doit le louer de cette foi. En effet, quand il hésitait à chasser de sa maison sa servante et son fils, sur les vives sollicitations de Sarra, Dieu lui dit « C’est d’Isaac que sortira votre postérité3 ». Cependant il ajouta tout de suite : « Je ne laisserai pas d’établir sur une puissante nation le fils de cette servante, parce que c’est votre postérité ». Comment Dieu peut-il assurer que c’est d’Isaac que sortira la postérité d’Abraham, tandis qu’il semble en dire autant d’Ismaël? L’Apôtre résout cette difficulté, quand, expliquant ces paroles : « C’est d’Isaac que sortira votre postérité », il dit : « Cela signifie que ceux qui sont enfants d’Abraham selon la chair ne sont pas pour cela enfants de Dieu; mais qu’il n’y a de vrais enfants d’Abraham que a ceux qui sont enfants de la promesse4 ». Dès lors, pour que les enfants de la promesse soient la postérité d’Abraham, il faut qu’ils sortent d’Isaac, c’est-à-dire qu’ils soient réunis en Jésus-Christ par la grâce qui les appelle. Ce saint patriarche, fortifié par la foi de cette promesse, et persuadé qu’elle devait être accomplie par celui que Dieu lui commandait d’égorger, ne douta point que Dieu ne pût lui rendre celui qu’il lui avait donné contre son espérance. Ainsi l’entend et l’explique l’auteur de l’Epître aux Hébreux : « C’est par la foi, dit-il, qu’Abraham fit éclater son obéissance, lorsqu’il fut tenté au sujet d’Isaac; car il offrit à Dieu son fils unique, malgré toutes les promesses qui lui avaient été faites, et quoique Dieu lui eût dit : C’est d’Isaac que sortira votre véritable postérité. Mais il pensait en lui-même que Dieu pourrait bien le ressusciter après sa mort ». Et l’Apôtre ajoute : « Voilà pourquoi Dieu l’a proposé en figure5 ». Or, quelle est cette figure, sinon celle de la victime sainte dont parle le même Apôtre, quand il dit: « Dieu n’a pas épargné son propre Fils, mais il l’a livré à la mort pour nous tous6 ? » Aussi Isaac porta lui-même le bois du sacrifice dont il devait être la victime, comme Notre-Seigneur porta sa croix. Enfin, puisque Dieu a empêché Abraham de mettre la main sur Isaac, qui n’était pas destiné à mourir, que veut tire ce bélier, dont le sang symbolique accomplit le sacrifice, et qui était retenu par les cornes aux épines du buisson? Que représente-t-il, si ce n’est Jésus-Christ couronné d’épines par les Juifs avant que d’être immolé?
Mais écoutons plutôt la voix de Dieu par la bouche de l’ange : « Abraham, dit l’Ecriture, étendit la main pour prendre son glaive et égorger son fils. Mais l’ange du Seigneur lui cria du haut du ciel: Abraham ? A quoi il répondit: Que vous plaît-il? — Ne mettez point la main Sur votre fils, lui dit l’ange, et ne lui faites point de mal; car je connais maintenant que vous craignez votre Dieu, puisque vous n’avez pas épargné votre fils bien-aimé pour l’amour de moi7 » . « Je connais maintenant » , dit Dieu, c’est-à-dire j’ai fait connaître; car Dieu ne l’avait pas ignoré. Lorsque ensuite Abraham eut immolé le bélier au lieu de son fils Isaac, l’Ecriture dit : « Il appela ce lieu le Seigneur a vu, et c’est pourquoi nous disons aujourd’hui : Le Seigneur est apparu sur la montagne » . De même que Dieu dit : Je connais maintenant, pour dire : J’ai fait maintenant connaître, ainsi Abraham dit: Le Seigneur a vu, pour dire: Le Seigneur est apparu ou s’est fait voir. « Et l’ange appela du ciel Abraham pour la seconde fois, et lui dit : J’ai juré par moi-même, dit le Seigneur, et pour prix de ce que vous venez de faire, n’ayant point épargné votre fils bien-aimé pour l’amour de moi, je vous comblerai de bénédictions, et je vous donnerai une postérité aussi nombreuse que les étoiles du ciel et que le sable de la mer. Vos enfants se rendront maîtres des villes de leurs ennemis; et toutes les nations de la terre seront bénies en votre postérité, parce que vous avez obéi à ma voix8 ». C’est ainsi que Dieu confirma par serment la promesse de la vocation des Gentils , après qu’Abraham lui eut offert en holocauste ce bélier, qui était la figure de Jésus-Christ. Dieu le lui avait souvent promis, mais il n’en avait jamais fait serment, et qu’est-ce que le serment du vrai Dieu, du Dieu qui est la vérité même, sinon une confirmation de sa promesse et un reproche qu’il adresse aux incrédules?
Après cela, Sarra mourut âgée de cent vingt-sept ans9, lorsque Abraham en avait cent trente-sept; il était en effet plus vieux qu’elle de dix ans, comme il le déclara lui-même, quand Dieu lui promit qu’elle lui donnerait un fils : « J’aurai donc, dit-il, un fils à cent ans, et Sarra accouchera à quatre-vingt-dix? » Abraham acheta un champ où il ensevelit sa femme. Ce fut alors, ainsi que le rapporte saint Etienne10, qu’il fut établi dans cette contrée, parce qu’il commença à y posséder un héritage; ce qui arriva après la mort de son père, qui eut lieu environ deux ans auparavant.
Gen. XXII, 1. ↩
Comp. saint Augustin, Quœst. in Gen., qu. 37, et in Exod., qu. 18.Saint Ambroise avait dit à la même occasion et dans le même sens (De Abr., lib. I, cap. 8) : « Autres sont les tentations de Dieu, autres celles du diable le diable, nous tente pour nous perdre, Dieu pour nous sauver ». ↩
Gen. XXI, 12. ↩
Rom, IX, 8. ↩
Héb. XI, 17-19. ↩
Rom. VIII, 32. ↩
Gen. XXII, 10-17. ↩
Gen. XXII, 16 et seq. ↩
Ibid. XXIII, 1 . ↩
Act. VII, 4 . ↩
