CHAPITRE X.
GÉNÉALOGIE DE SEM, DANS LA RAGE DE QUI LE PROGRÈS DE LA CITÉ DE DIEU SE DIRIGE VERS ABRAHAM.
Il faut donc prendre la suite des générations depuis Sem, afin de faire voir la Cité de Dieu à partir du déluge, comme la suite des générations de Seth l’a montrée auparavant. C’est pour cela que l’Ecriture, après avoir montré la cité de la terre dans Babylone, c’est-à-dire dans la confusion, retourne au patriarche Sem, et commence par lui l’ordre des générations jusqu’à Abraham, marquant combien chacun a vécu, avant que d’engendrer celui qui continue cette généalogie, et combien il a vécu depuis. Mais il faut, en passant, que je m’acquitte de ma promesse, et que je rende raison de ce que dit l’Ecriture, que l’un des enfants d’Héber fut nommé Phalec, parce que la terre fut divisée de son temps1. Que doit-on entendre par cette division, si ce n’est la diversité des langues?
L’Ecriture, laissant de côté les autres enfants de Sem, qui ne contribuent en rien à la suite des générations, parle seulement de ceux qui la conduisent jusqu’à Abraham; ce qu’elle avait déjà fait avant le déluge dans la généalogie de Seth. Voici comme elle commence celle de Sem: « Sem, fils de Noé, avait cent ans lorsqu’il engendra Arphaxat, la seconde année après le déluge; et il vécut, encore depuis cinq cents ans, et engendra des fils et des filles2 ». Elle poursuit de même pour les autres avec le soin d’indiquer l’année où chacun a engendré celui qui sert à cette généalogie, et la durée totale de sa vie, et elle ajoute toujours qu’il a eu d’autres enfants, afin que nous n’allions pas demander sottement comment la postérité de Sem a pu peupler tant de régions et fonder ce puissant empire des Assyriens que Ninus étendit si loin.
Mais, pour ne pas flous arrêter plus qu’il ne convient, nous ne marquerons que l’âge auquel chacun des descendants de Sem a eu le fils qui continue la suite de cette généalogie, afin de supputer combien d’années se sont écoulées depuis le déluge jusqu’à Abraham.
Deux ans donc après le déluge, Sem, âgé de cent ans, engendra Arphaxat; Arphaxat engendra Caïnan à l’âge de cent trente-cinq ans; Caïnan avait cent trente ans quand il engendra Salé; Salé en avait autant lorsqu’il engendra Héber; Héber cent trente-quatre lorsqu’il engendra Ragau; Ragau cent trente-deux quand il engendra Seruch ; Seruch cent trente quand il eut Nachor; Nachor soixante-dix-neuf à la naissance de son fils Tharé; et Tharé, à l’âge de soixante-dix ans, engendra Abram3, que Dieu appela depuis Abraham4 . Ainsi, depuis le déluge jusqu’à Abraham, il y a mille soixante-douze ans, selon les Septante5, car on dit qu’il y en a beaucoup moins, selon l’hébreu : ce dont on ne rend aucune raison bien claire.
Lors donc que nous cherchons la Cité de Dieu dans ces soixante-douze nations dont parle l’Ecriture, nous ne saurions affirmer positivement si dès ce temps, où les hommes ne parlaient tous qu’un même langage6, ils abandonnèrent le culte du vrai Dieu, de telle sorte que la vraie piété ne se soit conservée que dans les descendants de Sem par Arphaxat jusqu’à Abraham; ou bien si la cité de la terre ne commença qu’à la construction de la tour de Babel; ou plutôt si les deux cités subsistèrent, celle de Dieu dans les deux fils de Noé, qui furent bénis dans leurs personnes et dans leur race, et celle de la terre, dans le fils qui fut maudit ainsi que sa postérité. Peut-être est-il plus vraisemblable qu’avant la fondation de Babylone il y avait des idolâtres dans la postérité de Sem et de Japhet, et des adorateurs du vrai Dieu dans celle dè Cham; au moins devons-nous croire qu’il y a toujours eu sur la terre des hommes de l’une et de l’autre sorte. Dans les deux psaumes7 où il est dit : « Tous ont quitté le droit chemin et se sont corrompus; il n’y en « a pas un qui soit homme de bien, il n’y en « a pas un seul », on lit ensuite : « Ces impies « qui ne font que du mal et qui dévorent « mon peuple comme ils feraient un morceau « de pain, ne se reconnaîtront-ils jamais? »Le peuple de bLeu était donc alors; et ainsi ces paroles : « Il n’y en a pas un qui soit homme de bien, il n’y en a pas un seul », doivent s’entendre des enfants des hommes, et non de ceux de Dieu. Le Prophète avait dit auparavant: « Dieu a jeté les yeux du haut du ciel sur les enfants des hommes, pour voir s’il y en a quelqu’un qui le connaisse et qui le cherche »; après quoi il ajoute : « Il n’y en a pas un qui soit homme de bien », pour montrer qu’il ne parle que des enfants des hommes, c’est-à-dire de ceux qui appartiennent à la cité qui vit selon l’homme, et non selon Dieu.
