A EUSÈBE.
A L’OCCASION DE SES COMMENTAIRES SUR LES LAMENTATIONS DU PROPHÈTE JÉRÉMIE
Date incertaine.
Nous avons quatre rythmes dans les lamentions de Jérémie : les deux premiers sont en quelque sorte écrits en vers saphiques, c’est-à-dire commencent par une seule lettre, et se terminent comme le vers héroïque; le troisième comprend trois pieds , il commence par trois lettres, et trois vers commencent par des lettres semblables. Le quatrième est semblable au premier et au second. Il se termine par les proverbes de Salomon, et comprend des vers iambiques, à partir du passage où il est dit « Quel est l'homme qui trouvera une femme forte ? »
Comme dans notre langue on ne peut lire les mots et les rassembler, si d'abord on n'a commencé par les premiers éléments; de même dans les lettres sacrées nous ne pouvons connaître ce qu'elles ont de plus relevé, si nous n'en saisissons la morale , selon ces paroles du prophète qui dit : « J'ai compris d'après vos commandements. » C'est-à-dire que ce ne l'ut qu'après ses œuvres qu'il commença à posséder la science des secrets de Dieu. Mais faisons ce que vous m'avez demandé, et expliquons le sens de chacun des mots par l'interprétation que j'ai placée à la suite. Aleph signifie la doctrine; Beth, de la maison; ghimel, l'étendue; daleth, des tables; he, cette, en mauvaise part; vau et zain, cette, en bonne part; heth, vie; thes, le bon; jod, principe; capht, la main; lamed, de la conduite, ou du coeur; mem, de ces choses; nun, pour toujours; samech, secours; ain, la source, c'est-à-dire l'oeil; phe, le visage; zadik, de la justice; coph, la vocation; res, de la tête; sin, des dents; thau, les signes. Comprenez bien afin de ne pas être trompé par l'ambiguïté des mots.
Après l'interprétation des mots, je dois dire dans quel ordre ils sont traités. Aleph, belli, ghimel, daleth, forment la première partie, la doctrine de la maison, l'étendue des tables; c'est-à-dire la doctrine de l'Église, qui est la maison de Dieu, se trouve dans l'étendue des saintes Ecritures.
La seconde partie comprend he, vau, zain, heth, cette bonne et cette mauvaise vie. En effet, quelle vie peut être bonne sans la connaissance de l'Écriture qui nous l'ait connaître Jésus-Christ , la vie des croyans.
La troisième partie comprend teth, jod, c’est-à-dire le bon principe; c'est-à-dire que quoique nous connaissions tout ce qui est écrit, nous ne sommes instruits qu'à moitié, nous ne prophétisons qu'à moitié, et nous ne voyons les mystères que dans un miroir. Mais lorsque nous aurons mérité d'arriver jusqu'au Christ et de devenir semblables aux anges, alors la connaissance des Ecritures deviendra inutile.
La quatrième partie comprend caph, lamed, la main du coeur ou la conduite morale. La main doit être prise pour l'action, le coeur et la conduite pour le sentiment. En effet, nous ne pouvons rien faire que nous n'ayons d'abord pensé ce qui doit être fait.
La cinquième partie comprend mem, nun, samech, de là un secours éternel. Ceci n'a pas besoin d'explication; il est clair comme le jour que les saintes Ecritures nous donnent un éternel soutien.
La sixième partie renferme, ain, phe, sade, c'est-à-dire la source ou l'oeil du visage de la justice. C'est ce que nous avons expliqué au troisième numéro. Nous avons fait aussi comprendre ce que signifient ces paroles mystiques de la septième et dernière partie, coph, res sin, thau. la vocation de la tête, les signes des dents. Le son articulé est poussé à travers les dents et arrive jusqu'à la tête de toutes choses, le Christ, qui nous procure la vie éternelle.
Ce que nous disons là est pour l'instruction du lecteur, pour lui prouver que cette suite d'expressions n'a pas vainement été employée par le prophète, mais que tout ce qu'il a écrit a du rapport avec les sacrements de Jésus-Christ et de l'Église. Ses Lamentations et ses prophéties ne se rapportent pas seulement à la captivité des Juifs et à la destruction de Jérusalem; elles eurent lieu aussi à l'occasion de la mort du roi Josias. La preuve en est dans ce passage qui dit : « Le roi Josias mourut, et il fut enseveli dans le tombeau de ses pères, et tout Juda et Jérusalem le pleurèrent, surtout Jérémie; et tous les chanteurs, hommes et femmes, ne cessent de répéter encore ses lamentations sur Josias, comme si c'était ordonné par la loi d'Israël. » D'abord, dans nos explications, nous ne nous écartons pas de l'histoire. Mais ensuite nous rencontrons des allégories dans plusieurs passages; elles se rapportent, soit à Josias qu'il faut prendre pour la protection du Seigneur ou pour la puissance du Seigneur, soit aux Juifs qu'il faut prendre pour ceux qui croient en Dieu.
Aujourd'hui nous devons nous lamenter avec beaucoup plus de raison qu'autrefois le prophète du Seigneur. Il est vrai que nous n'avons pas à déplorer la perte d'un grand nombre de villes et celle d'une nation florissante; mais nous avons à pleurer l'âme d'un chrétien, ce qui est bien plus noble que toutes les nations, ce qui est bien plus précieux que toutes les villes. Car un juste qui obéit aux ordres du Seigneur vaut mieux que la multitude des impies. Autrefois un coeur où un Dieu habitait était meilleur que la foule des Juifs qui , ingrats envers le Seigneur, se rendaient toujours criminels. C'est pour cela que leur législateur, parmi les reproches qu'il leur adresse , a parlé en ces termes : « Je sais combien vous résistez au Seigneur. » Etienne dit aussi : « Votre tête est dure et votre cour n'est pas sanctifié. » Si quelqu'un a pu contempler l'âme de l'homme de bien que pénétrait en quelque sorte l'aspect d'un saint temple au moment où elle brillait de tout l'éclat de sa pureté, il verra combien les lamentations du prophète ont peu d'amertume et de force auprès des nôtres. Il pleure parce due des mains barbares sont venues souiller la demeure du Saint des saints, et les flammes le sanctuaire oit l'on vit foulés aux pieds les chérubins, l'arche, les tables et l'urne d'or. Nos lamentations à nous sont d'autant plus plaintives et plus amères que les richesses que renfermait cette âme sont plus réelles et plus précieuses que celles du temple de Jérusalem. Le temple crue cette âme renfermait était bien plus saint que celui des Juifs. Il ne contenait ni or ni argent, mais il brillait des vertus du cour. Il avait une arche et deux chérubins; c'est-à-dire la foi du Père, du Fils et du Saint-Esprit. Mais aujourd'hui tout cela n'existe plus, tout cela est détruit. La maison du Seigneur est dépouillée de tous ses ornements ; elle est privée des bienfaits divins qu'elle avait obtenus. Elle ne présente plus qu'un squelette informe et hideux; rien ne la protégé désormais, ceux qui la protégeaient ont péri. Ses portes ne se ferment plus ; personne ne les garde maintenant , car elle est ouverte à tous les mauvais esprits qui s'efforcent de la corrompre; aucune pensée criminelle, aucun désir honteux n'en peuvent être chassés. Si l'esprit d'impureté se présente et y pénètre, si l'orgueil, si l'avarice et toutes les passions honteuses et criminelles s'en approchent, personne ne les arrête, personne ne les repousse, car elle n'a plus de garde et il ne lui reste aucun défenseur. Comme les vices de cette espèce ne peuvent pénétrer dans les demeures célestes de quelque manière que ce soit, de même aucune passion ne pouvait autrefois se glisser dans cette âme si pure.
