CHAPITRE VI. Néant d'une longue vie.
V. 1, etc. « Il y a encore un autre mal que j'ai vu sous le soleil, et qui est ordinaire parmi les hommes: un homme à qui Dieu a donné des richesses, du bien, de l'honneur, et à qui il ne manque rien de tout ce qu'il peut désirer pour la vie ; et Dieu ne lui a point donné le pouvoir d'en manger, mais un étranger dévorera tout. C'est là une vanité et une grande misère. Quand un homme aurait eu cent enfants, et qu'il aurait vécu beaucoup d'années, et qu'il serait fort avancé en âge, si son âme n'use point du bien qu'il possède , et qu'il soit même privé de la sépulture, je ne crains point d'avancer de cet homme qu'un avorton vaut mieux que lui; car c'est en vain qu'il est venu au monde : il s'en retournera dans les ténèbres, et son nom sera enseveli dans l'oubli. Il n'a point vu le soleil, et n'a point connu la différence du bien et du mal ; mais il est plus heureux que l'autre, quand il aurait vécu deux mille ans, s'il n'a point joui de ses biens. Tous ne vont-ils lias au même lieu ? »
Salomon dans cette section nous fait; la peinture d'un riche avaricieux, en nous assurant que la sordide avarice est un mal fort commun parmi les hommes. Cet homme à qui chose du monde ne planque est assez malheureux pour s'affliger lui-même par une épargne pleine de folie, et pour se refuser ce qu'il conserve à la dissolution de ceux qui jouiront de ses biens. Et pour exagérer davantage la misère de cet avare, l'Ecclésiaste ajoute encore que, quand un riche de cette nature aurait mis au monde cent enfants, et quand même il aurait vécu, non pas près de mille ans comme Adam , mais deux mille si l'on veut, il ne craint point de lui préférer un avorton qui périt au moment de sa naissance; car enfin celui-ci n'a jamais connu ni éprouvé aucun mal ni aucun bien; au lieu qu'un avaricieux qui possède des biens immenses est bourrelé et tourmenté de beaucoup de soins, de chagrins et d'inquiétudes. D'ailleurs un avorton passe d'abord au repos du tombeau, pendant que l'avaricieux est dans des agitations continuelles et qui durent autant que sa vie; après quoi la mort les met l'un et l'autre dans un même lieu.
Ce qui est remarqué au milieu du texte : « Il n'a pas même eu de sépulture, » peut signifier que le riche avaricieux n'a pas songé à se préparer un sépulcre, de peur que cette dépense ne diminuât en quelque l'acon ses grandes richesses; ou bien l'Ecriture nous apprend ce qui arrive fort souvent dans le monde, quand des gens riches sont assassinés par des voleurs et des scélérats qui privent de la sépulture les corps de ceux qu'ils ont tués pour avoir leurs richesses, en les cachant dans des lieux inconnus afin de n'être point découverts. Mais je crois que les paroles de l'Ecclésiaste ont un sens qui parait plus naturel. Il veut donc dire que le riche avaricieux n'a jamais fait de belles actions qui eussent pu conserver sa mémoire à la postérité. Ainsi, ayant vécu comme les bêtes, dont la mémoire est entièrement abolie, on ne se souvient pas plus des avares que s'ils n'avaient jamais été, quoiqu'ils aient possédé des trésors et des richesses qui les auraient rendus recommandables s'ils avaient su s'en servir et les employer à leur propre gloire.
