CHAPITRE XXIX.
DES TROIS ANGES QUI APPARURENT A ABRAHAM AU CHÊNE DE MAMBRÉ.
Dieu apparut encore à Abraham au chêne de Mambré dans la personne de trois hommes, qui indubitablement étaient des anges1, quoique plusieurs estiment que l’un d’eux était Jésus-Christ, qui était visible, à les en croire, avant que de s’être revêtu d’une chair2. Je tombe d’accord que Dieu, qui est invisible, incorporel et immuable par sa nature, est assez puissant pour se rendre visible aux yeux des hommes, sans aucun changement en son essence, non par soi-même, mais par le ministère de quelqu’une de ses créatures; mais s’ils prétendent que l’un de ces trois hommes était Jésus-Christ, parce qu’Abraham s’adressa à tous trois comme s’ils n’eussent été qu’un seul homme, ainsi que le rapporte l’Ecriture : « Il aperçut trois hommes auprès de lui, et aussitôt il courut au-devant d’eux, et dit: Seigneur, si j’ai trouvé grâce auprès de vous …3 » cette présomption n’a rien de concluant; car la même Ecriture témoigne que deux de ces anges étaient déjà partis pour détruire Sodome, lorsqu’Abraham s’adressa au troisième et l’appela son Seigneur, le conjurant de ne vouloir pas confondre l’innocent avec le coupable et de pardonner à Sodome. En outre, lorsque Lot parle aux deux premiers anges, il le fait comme s’il ne parlait qu’à un seul. Après qu’il leur a dit: « Seigneur, venez, s’il vous plaît, dans la maison de votre serviteur4 », l’Ecriture ajoute : « Les anges le prirent par la main, lui, sa femme et ses deux filles, parce que Dieu lui faisait grâce. Et aussitôt qu’ils l’eurent tiré hors de la ville, ils lui dirent: Sauvez-vous, ne regardez point derrière vous, et ne demeurez point dans « toute cette contrée ; sauvez-vous dans la montagne, de peur que vous ne soyez enveloppé dans cette ruine. Et Lot leur dit: «Je vous prie, Seigneur, puisque votre serviteur a trouvé grâce auprès de vous, etc.5 »Ensuite le Seigneur lui répond aussi au singulier, par la bouche de ces deux anges en qui il était, et lui dit : « J’ai eu pitié de vous6 » il est bien plus croyable qu’Abraham et Lot reconnurent le Seigneur en la personne de ses anges, et que c’est pour cela qu’ils lui adressèrent la parole. Au surplus, ils prenaient ces anges pour des hommes; ce qui fit qu’ils les reçurent comme tels et les traitèrent comme s’ils avaient besoin de nourriture; mais d’un autre côté, il paraissait en eux quelque chose de si extraordinaire que ceux qui exerçaient ce devoir d’hospitalité à leur égard ne pouvaient douter que Dieu ne fût présent en eux, comme il a coutume de l’être dans ses prophètes. De là vient qu’ils les appelaient quelquefois Seigneurs au pluriel en les regardant comme les ministres de Dieu, et d’autrefois Seigneur au singulier, en considérant Dieu même qui était en eux. Or, l’Ecriture témoigne que c’étaient des anges, et ne le témoigne pas seulement dans la Genèse, où cette histoire est rapportée, mais aussi dans l’épître aux Hébreux, où faisant l’éloge de l’hospitalité: « C’est, dit-elle, en pratiquant cette vertu que quelques-uns, sans le savoir, ont reçu chez eux des anges mêmes7 ». Ce fut donc par ces trois hommes que Dieu, réitérant à Abraham la promesse d’un fils nommé Isaac qu’il devait avoir de Sarra, lui dit: « Il sera chef d’un grand peuple, et toutes les nations de la terre seront bénies en lui8 ». Paroles qui contiennent une promesse pleine et courte du peuple d’Israël, selon la chair, et de toutes les nations, selon la foi.
Gen. XVIII, 1 seq. ↩
C’est l’opinion de Tertulien (De carne Christi, cap. 7; Cont. Jud., cap. 9; et alibi), de saint Irénée (lib. III, cap. 6, et lib. IV, cap. 26) et de quelques autres Pères de l’Eglise. Saint Ambroise, au contraire (De Abrah., lib. I, cap. 5), a soutenu le même sentiment que saint Augustin défend ici et en d’autres écrits (De Trin., lib., II, n. 21; Cont. Maxim,, cap. 26, n. 5 et 6). ↩
Gen. XVIII, 1-3. ↩
Ibid. XIX, 2. ↩
Gen. XIX, 16 et seq. ↩
Ibid. 21 . ↩
Hébr. XIII, 2 . ↩
Gen. XVIII, 18. ↩
