2.
Il faut d’abord leur répondre que ce passage de l’Evangile signifie que le Seigneur est allé jusqu’à prendre une chair visible et que, dans cette unité complète, le principal est le Verbe, l’autre extrémité et le point le plus inférieur, la chair. Or l’Evangéliste voulant attirer notre attention sur le profond abaissement d’un Dieu et exprimer comment et jusqu’à quel point il s’est humilié, n’a parlé que du Verbe et de la chair, et n’a rien dit de l’âme qui est inférieure au Verbe et supérieure à la chair. En effet, saint Jean rend cet abaissement plus sensible en disant : « Le Verbe s’est fait chair, » que s’il eût dit : Le verbe s’est fait homme. En épluchant ces paroles, un autre esprit non moins pervers pourrait en tirer un sens aussi contraire à notre foi, et dire que le Verbe lui-même s’est changé et transformé en chair et a cessé d’être le Verbe, puisqu’il est écrit : « Le Verbe s’est fait chair ; » absolument comme notre chair réduite en cendre n’est pas chair et cendre, mais chair devenue cendre. D’ailleurs suivant une formule de langage usuelle et bien connue, tout ce qui devient ce qu’il n’était pas, cesse d’être ce qu’il était. Ce n’est cependant point ainsi que nous entendons ces paroles ; et les Apollinaristes eux-mêmes conviennent avec nous que le Verbe est resté ce qu’il était, et que ces paroles : « Le Verbe s’est fait chair, » signifient qu’il a pris la forme d’esclave, mais non qu’en prenant cette forme sa nature ait subi quelque changement.
Du reste si partout où l’on nomme la chair sans parler de l’âme, il faut supposer qu’il n’y a pas d’âme, ceux-là en seront aussi privés, dont on a dit : Et toute chair verra le salut de Dieu 1 ; » puis le Psalmiste : « Exaucez mes prières : toute chair paraîtra devant vous 2 : » encore, dans ce passage de l’Evangile : « Comme vous lui avez donné puissance sur toute chair, afin que tout ce que vous lui avez donné ne périsse point mais ait la vie éternelle 3. »
D’où l’on peut voir que quand, dans langage usuel, on ne nome que la chair, on peut entendre l’homme tout entier, en sorte que ces paroles : « Le Verbe s’est fait chair, » signifient simplement : le Verbe s’est fait homme. Car de même que souvent en ne nommant que l’âme, on entend parler de tout l’homme, comme on le voit par ce passage : « Tant d’âmes sont descendues en Egypte 4, » ainsi, sous le nom de chair, comprenons aussi l’homme tout entier, comme le prouvent les exemples cités plus haut.
